jeudi 7 juillet 2011

Coexister pour seul et unique « fonds de commerce » Par Lotfi Aïssa




Les Tunisiens n’ont surement pas le droit de s’arrêter en si bon chemin. C’est leur responsabilité morale envers leur pays, et ils doivent scrupuleusement l’honorer. Voilà ce que chacun de nous devrait opposer aux agissements des fouteurs de trouble, aux réactions épidermiques et à la cacophonie de leurs compères, opportunistes notoires et révolutionnaires de la dernière heure toutes catégories confondus.
L’acte révolutionnaire engendré, une agitation bien orchestrée autour du premier amendement de la constitution seul « fond de commerce » des politicards endurcis ou des enjeux identitaires, chers aux fondamentalistes comme aux défenseurs d’un héritage sociétal sécularisé, allait imprégner le paysage politique légitimant une confrontation ouverte cherchant sciemment à déjouer toutes les « feuilles de route » qui ne leur garantissent pas une position privilégiée dans la ruée vers la représentativité politique.
Il fut un temps ou ce genre de débat faisant mine de virer vers une forme saugrenue de violence ou vers une anarchie hypothéquant la bonne marche des institutions républicaines, nous a obligé à donner raison - non sans grande déception d’ailleurs- aux défenseurs d’un régime autoritariste et exclusiviste digne d’une république bananière. Nous connaissons aujourd’hui le prix que nous avons consenti à payer pour s’émanciper de notre lâcheté collective en l’occurrence un quart de siècle ou presque de chape de fer.
Ceux qui nous invitent aujourd’hui, et à juste titre d’ailleurs, à nous indigner contre les agissements dénuer de toute civilité d’une « horde de barbus » paressent oublier les enjeux politiques des marionnettistes attitrés d’un Etat encore policier qui continuent à croire qu’ils détiennent les ficelles leurs permettant de déjouer des situations par trop complexes, y compris la possibilité d’imposer leur propre façon de gouverner à une situation éminemment révolutionnaire !
Nous sommes tous des tunisiens et nous devrions jamais perdre de vue une telle évidence si nous voulons un jour réédifier une patrie en partage. Ce n’est surement pas en cherchant à nous disqualifier d’une telle identité et par des moyens qui prêtent à équivoque, que nous allons réussir à baliser le chemin qui nous mènera à acquérir enfin une citoyenneté qui parait aujourd’hui plus que jamais bien à notre porté.
Rachid Ghanouchi, Abdelfattah Mourou, Mohamed Talbi, Nedia Fenni, Jalila Baccar, Yadh Ben Achour, Beji Caid Essebsi, militants syndicalistes, agitateurs culturels, intervenants dans la société civile, travailleurs, chômeurs, analphabètes, étudiants hommes et femmes vivants dans le pays ou résidants à l’étranger sont tous les acteurs attitrés d’une nouvelle histoire écrite par tous les Tunisiens. Et même ceux qui n’arrivent pas à se reconnaître dans un tel statut ont eux aussi - et quoiqu’en disent les détracteurs – bien le droit de vivre avec les autres s’ils se garderont de ne point oublier que les lois qui régissent la vie publique ne souffre d’aucune exception et qu’ils sont les mêmes pour tous ceux qui ont accepté et accepterons de coexister ensemble toute en se réclamant de la même nationalité tunisienne.
C’est pour nous à ce prix et à nul autre que nous arriveront à nous prémunir contre une culture de l’excès, dont le discours débordant d’émotivité paraît mal caché une volonté consciente de manipulation. Etre vigilant ne veut pas dire jouer sur les amalgames ou tomber dans la dérive d’un militantisme béant croyant détenir à lui seul la vérité en affichant pour toute culture politique un exutoire progressiste gauchisant digne d’une annexe soviétique.
La Tunisie est en phase aujourd’hui d’écrire une nouvelle page de son histoire. Nous la voulons consensuelle et conflictuelle, progressiste et musulmane mondialiste et alternative, moderne et traditionnelle. Derrière nous doivent se situer les peurs, les appréhensions les soupçons qui donnent raison à ceux qui ont toujours cru que l’intransigeance, le despotisme et le fanatisme ont les pays d’Orient pour seule est unique patrie.
Un tunisien ne peut-il pas prétendre au progrès tout en s’identifiant à sa culture arabo-musulmane ? Ne peut-il s’arrimer à son passé antéislamique tout en affichant sa différence par rapport à la culture occidentale ? Ne gagne-t-il pas à préserver ses traditions locales tout en s’ouvrant sur toutes les cultures universelles? Voilà ce que nous devrions tous défendre, le reste est de l’ordre de la surenchère sur « fond de commerce » obsolète et hors saison.

dimanche 3 juillet 2011

الحب ضحكة غشير

Libre traduction en arabe dialectal inspirée d'une énième lecture de la Carmen de Georges Bizet.

 Version originelle:

"L'amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle
S'il lui convient de refuser

Rien n'y fait, menace ou prière
L'un parle bien l'autre se tait
Et c'est l'autre que je préfère
Il n'a rien dit mais il me plaît

L'amour (x4)

L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas je t'aime
Et si je t'aime prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime prends garde à toi

L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas je t'aime
Et si je t'aime prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime prends garde à toi

L'oiseau que tu croyais surprendre
Battit de l'aile et s'envola
L'amour est loin tu peux l'attendre
Tu ne l'attends plus il est là

Tout autour de toi vite vite
Il vient s'en va puis il revient
Tu crois le tenir, il t'évite
Tu crois l'éviter, il te tient

L'amour (x4)

L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas je t'aime
Et si je t'aime prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime prends garde à toi

L'amour est enfant de bohème
Il n'a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m'aimes pas je t'aime
Et si je t'aime prends garde à toi
Prends garde à toi
Si tu ne m'aimes pas, si tu ne m'aimes pas je t'aime
Prends garde à toi
Mais si je t'aime, si je t'aime prends garde à toi

 اقتباس حرّ أو ترجمة منقلبة على الأصل

الحب ضحكة غشير"
جنان وفاح نوارو
لا يفيد معاه تدبير
سلطان ما نفهم أسراروُ

الحب عصفور طاير في سماه
ما حد قادر يصيبه
ماذا تعذبنا في رجاه
لا يسخف ولا يسمع تنهيده
لا تعجبو نغرة لا رجاء
ولا يقبل عذر و لا مكيده
إلي بالصوت صداح وإلي ما لو لسان يماري
هاك إلي الخاطر رضاه
الفم ما انطق والعين هذبها حكالي
إذا قضى الهذب وانشب وفي الجاش إرشق نبله
ماذا في ابن آدم يصير مكحول يعجل بأجله

الحب ضحكة غشير
جنان وفاح نوارو
لا يفيد معاه تدبير
سلطان ما نفهم أسرارو
الطير اللي ما قدرت تصيد
فْرَدْ جناحو في السماء وعلاّ
والخلّ إلي عليك شرد
وانت في خيالو تستنى
ما عرفت إلّى فيه تْصُدْ
ضوالك في قلبو شمعة
يطلّع في أنفاسُو ويرد ثمّاشي ما يصادف نظرة
تحسب في كفّك خبيتو وهو في نيتو يهرب
وإليّ في بالك نسيتو منو ما فَمّه مهرب

الحب ضحكة غشير
جنان وفاح نوارو
لا يفيد معاه تدبير

"سلطان ما نفهم أسرارو

vendredi 1 juillet 2011


Alain Corbin par booksmag




Les sens saisis par l’historien
Alain Corbin Historien du sensible: Entretiens avec Gilles Heuré
La Découverte - Cahiers libres 2000 / 2.56 € - 16.79 ffr. / 200 pages
ISBN : 2-7071-3098-2
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Dans les années 1980, les éditeurs ont favorisé le genre autobiographique parmi les historiens français. Dans ces essais "d’ego-histoire", pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif paru chez Gallimard en 1987, les universitaires étaient invités à livrer leurs souvenirs sur leur carrière et sur leur métier d’enseignants et de chercheurs. Ce type d’écrit, utile pour comprendre sur le long terme l’évolution de l’université et de la recherche françaises, paraît aujourd’hui céder le pas à un autre genre, celui de l’entretien.

A la différence des mémoires et des souvenirs, qui laissent souvent la place à la reconstruction et à une cohérence a posteriori, l’entretien est guidé par le dialogue et parfois par la controverse entre deux points de vue. Après les éditions de Fallois, qui ont publié un livre d’entretiens entre Eric Mension-Rigau et Pierre Chaunu (Danse avec l’histoire, 1998), les éditions La Découverte, dont il faut souligner l’effort général de promotion d’ouvrages originaux dans le domaine des sciences sociales, ont ainsi permis à Gilles Heuré de publier ses entretiens avec Alain Corbin, professeur d’histoire à l’université Paris-I Sorbonne. Le livre, intitulé Historien du sensible, est à la fois une évocation de son parcours d’historien et une analyse passionnante des évolutions méthodologiques d’un certain type d’histoire depuis la fin des années 1960.

Alain Corbin, dont certains livres –le Miasme et la Jonquille, Aubier, 1982; le Village des cannibales, Aubier, 1991, et plus récemment, le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Flammarion, 1998– ont eu un écho bien au-delà du milieu des historiens, offre en effet la particularité d’avoir effectué le passage de l’histoire sociale labroussienne à une forme particulière d’histoire des mentalités. Sa thèse d’Etat sur le Limousin publiée en 1975, rééditée l’année dernière par les presses universitaires de Limoges, s’inscrivait dans la perspective d’une histoire socio-culturelle quantitative.

Alain Corbin a délaissé progressivement les analyses de courbes des prix et les indications statistiques pour une histoire socio-culturelle qualitative privilégiant l’analyse d’un événement ou d’un fait divers. En cela, depuis une vingtaine d’années, ses travaux se rapprochent de l’anthropologie ou de la sociologie comportementale. Mis à part le contenu propre de ces divers ouvrages auxquels on renverra le lecteur, il est tout à fait intéressant de pouvoir saisir, au travers de ce livre d’entretiens, les étapes qui ont amené à cette mutation, source de toute une série de travaux nouveaux chez un nombre grandissant d’historiens spécialistes d’histoire contemporaine.

Alain Corbin s’est ainsi intéressé après des travaux encore relativement classiques sur la prostitution, à des sujets aussi variés que l’histoire de la sensibilité, celle de la mesure du temps ou encore de la perception de l’espace. Assurément, il fallait à l’historien pour se lancer à la conquête de ces terres vierges, une nouvelle approche des archives et le souci de définir des outils méthodologiques nouveaux. Historien du sensible est à cet égard très éclairant pour comprendre comment l’historien procède dans son travail quotidien. Il affirme au passage la nécessité pour l’historien qui se penche sur la prostitution ou sur les rituels de violence de se tenir à l’écart de tout "dolorisme" : il n’est pas dans le rôle de l’historien de remplir une mission sociale ou civique de dénonciation des formes passées de violences symboliques ou réelles, mais seulement de les mettre au jour.

Dans cet ouvrage, on invitera le lecteur à s’attarder sur les pages évoquant l’approche particulière d’Alain Corbin à l’égard des sensibilités. Mis à part Robert Mandrou, qui, le premier, avait montré la primauté de l’ouïe et du toucher sur les autres sens et qui avait défini –en historien– la notion "d’équipement sensoriel" dans un magnifique ouvrage (Introduction à la France moderne 1500-1640, Albin Michel, "L’évolution de l’humanité", 1961), les historiens ne s’étaient pas intéressés à cet objet d’étude iconoclaste. Les travaux d’Alain Corbin montrent que les sens –la sensibilité d’un point de vue général–, de même que leur perception par la société, sont historiquement datés. Il propose alors de s’intéresser à l’évolution du "paysage sonore" ou du "paysage olfactif". Face à Gilles Heuré, il reconnaît que la France offre à l’historien du sensible un territoire extrêmement riche : "La France est une marqueterie du point de vue anthropologique". (p. 107).

En fin de compte, tout l’intérêt de l’oeuvre d’Alain Corbin est qu’il ne s’arrête pas à une présentation de l’évolution historique des sensibilités : il en présente les différents usages sociaux et notamment les tentatives de contrôles qui ont pesé sur elles. L’histoire des sensibilités rejoint ainsi les travaux initiés par Michel Foucault, sur les contrôles et les contraintes de la société à l’ère bourgeoise. Alain Corbin montre de façon indiscutable dans ce livre d’entretiens, si besoin en était, que l’histoire de la culture –y compris de la culture sensible– renvoie invariablement et nécessairement à l’histoire sociale.