En ce jour venteux d’automne new-yorkais,
Philip Roth nous accueille en grande forme dans son vaste appartement
minimaliste de l’Upper West Side pour la sortie française d’un de ses plus
beaux romans : Némésis.Retour à Newark dans les années 1940, on y suit
Bucky Cantor, jeune homme parfait, dévoué aux gamins dont il s’occupe et à ceux
qu’il aime, pris dans la tourmente d’une épidémie de polio.
Difficile de parler
de Némésis sans dévoiler sa fin. Disons seulement que, malgré la
volonté du héros de faire le bien, il deviendra l’instrument du mal, et que
Roth réussit un nouveau tour de force dans un roman à la construction parfaite.
Le narrateur n’apparaîtra qu’à la page 90 pour mieux disparaître et ne
réapparaître qu’à la fin, quand on retrouve Bucky trente ans après, dans un
ultime chapitre aussi abrupt et cruel que le dernier du Tendre est la
nuit de Fitzgerald.
Némésis est la déesse grecque de la justice,
de la vengeance, de la colère. Si Philip Roth a construit son roman en forme de
tragédie, c’est une tragédie dénuée de morale, donc très humaine et toute
contemporaine qu’il signe : la maladie et la mort n’ont aucun
sens.Némésis se meut en grand et beau texte métaphysique sur l’idée de
hasard et de responsabilité dans la vie de chacun.
De tous vos
romans, Némésis semble être celui où vous exposez le plus votre
propre vision de l’existence.
Philip Roth - En effet, je pense que
tout dans la vie est une question de chance ou de malchance. Je ne crois pas à
la psychanalyse, ni à un inconscient qui nous guiderait dans nos choix. Nous
avons seulement la chance ou la malchance de faire certaines rencontres qui
seront bonnes ou mauvaises pour nous. Ma première femme, par exemple, s’est
révélée être une criminelle – elle volait sans cesse, mentait, etc. – or je ne
l’avais pas choisie pour ça, je déteste les criminels. Mais voilà, j’ai eu la
malchance d’épouser la mauvaise personne. Les psychanalystes diraient que je
l’ai choisie inconsciemment : je n’y crois pas, mais cela rejoint d’une
certaine façon mon point de vue selon lequel, face à la vie, nous sommes des
innocents. Il y a une forme d’innocence en chacun de nous dans la façon dont
nous abordons nos vies.
Némésis appartient à un groupe
de quatre livres intitulé Nemeses(avec Un homme, Indignation, Le
Rabaissement). Comment s’articulent-ils entre eux ?
Ils abordent tous le sujet de la mort
d’un point de vue différent. Dans chacun de ces livres, le personnage a à faire
avec sa “nemeses”, un terme très courant aux États-Unis et qu’on
pourrait définir comme une fatalité, une malchance, la force qu’il ne peut
surmonter et qui le choisit pour s’abattre sur lui.
Dans Némésis, cette nemeses semble être la polio, mais dans
le cas de Bucky Cantor, c’est en fait ses problèmes de conscience. Ce qui m’a
toujours intéressé en tant qu’écrivain, et cela depuis Laisser
courir, l’un de mes premiers romans, ce sont les êtres qui ont un sens
extrême, et au fond déplacé, de leur responsabilité. Bucky est un homme qui se
définit seulement par sa vertu, et c’est très dangereux. Ce n’est pas seulement
la polio qui va ruiner sa vie, mais son aspiration à la responsabilité totale.
En quoi la polio vous intéressait ?
D’abord parce que c’est un sujet neuf
pour moi, que je n’ai jamais rien écrit là-dessus ; ensuite parce que, pour les
gens nés comme moi dans les années 1920 ou 1930 en Amérique, la polio a joué un
grand rôle, puisqu’avant le vaccin, en 1955, nous avons eu à subir sa menace et
cela nous a terrifiés. Ce n’est qu’après avoir écrit Némésis que j’ai
réalisé la connexion avec mon roman Le Complot contre l’Amérique :
dans les deux cas, j’imagine une tragédie qui frappe la communauté juive de
Newark dans les années 1940 – celle d’où je viens. Dans le cas
du Complot, j’ai inventé la menace, la nemeses (le nazi
Charles Lindbergh devenant président des États-Unis).
Dans Némésis, c’est la polio, qui existait, sauf qu’il n’y a pas eu
d’épidémie en 1944. Et puis la maladie est la forme la plus extrême de la
malchance : cela vous tombe dessus et vous n’y pouvez rien.
Au-delà de cette question de
malchance, ce qui vous intéresse c’est d’écrire sur ce que l’on en fait et
comment un homme réagit à ce qui lui arrive ?
Si nous avons l’impression que Bucky
gâche sa vie en renonçant à sa fiancée, pour lui qui veut être l’incarnation du
mot “responsabilité”, réussir sa vie c’est y renoncer, même si cela le condamne
à la solitude. Mais je n’ai aucun jugement là-dessus, je voulais juste poser la
question. C’est avant tout ainsi que j’envisage mon travail d’écrivain :
qu’est-ce qui arrive face à une épidémie de polio ? Le roman est fait pour
poser des questions, pas pour apporter des réponses. Je n’écris pas de livres
philosophiques.
Pourtant, Némésis pose la
question du destin ou du hasard, du sens de la vie…
Pour tout vous avouer, je ne suis pas
très porté sur l’abstraction. Je n’ai pas cette tournure d’esprit. Et dès
qu’une conversation en arrive à la métaphysique ou la philosophie, je
m’endors (rires). Tout ce qui m’intéresse vraiment, tout ce que je
sais faire, c’est raconter une histoire. Dès que l’on me parle abstraction,
j’ai l’impression d’avoir 10 ans, de ne plus rien comprendre, et d’être gagné
par le plus grand sommeil.
Vos derniers livres sont hantés par
une menace. Jusqu’à quel point le fait d’avoir été un enfant juif durant la
guerre vous a influencé ?
J’ai eu une enfance très protégée. Mes
parents n’ont jamais divorcé, je vivais dans une communauté à 99 % juive donc
nous n’étions pas touchés par l’antisémitisme. Bien sûr, de 8 à 12 ans, le pays
était en guerre et je m’y intéressais beaucoup. Toutes les générations qui ont
traversé la Seconde Guerre mondiale, que ce soit en France, en Allemagne ou
ici, en ont été marquées à vie. L’autre menace, réelle, c’était donc la polio :
chaque été, quand nous passions la journée à jouer dehors, on nous parlait de
la polio. On s’en fichait, jusqu’à ce que l’un de nous en meure. Mais vous
savez, je ne crois pas que la biographie d’un écrivain ait à voir avec ses
livres.
Alors qu’est-ce qui vous fait
écrire ?
L’envie de faire une expérience,
le “what if ?” (le “et si ?”). Et si… telle ou telle chose arrivait,
qu’est-ce qui se passerait ? Je commence tous mes livres par ce “what if
?”. Par exemple : “Et si une épidémie de polio avait touché ma communauté
à Newark en 1944 ?”
Vous verriez-vous commencer à
écrire avec “Et si… ce type génial épousait cette fille merveilleuse et qu’ils
vivaient heureux ?” Le bonheur n’est pas un moteur d’écriture ?
Mais j’ai déjà écrit ce livre ! Il y a
des années, quand j’ai écrit Professeur de désir, je voulais écrire
au sujet d’un phénomène très commun sur lequel on ne lisait jamais rien : si
deux personnes tombent amoureuses l’une de l’autre, se marient… qu’est-ce qu’il
se passe ? Eh bien le sexe disparaît, la sexualité entre eux disparaît. Le
mariage est la voie qui mène directement à la chasteté. Donc, vous voyez, j’ai
commencé à écrireProfesseur de désir sur une situation heureuse, mais qui
mène à un vrai problème.
Un problème autobiographique ?
Il serait trop simple de croire que
l’écrivain n’écrit que sur ce qui lui arrive. La plupart du temps, j’écris sur
ce qui ne m’arrive pas parce que je suis curieux. Un écrivain peut être attiré
par des sujets qui sont même très loin de son univers. Ce qui compte, c’est ce
qui va faire démarrer chez lui une vague d’écriture, ce qui va engendrer une
énergie verbale. Certains sujets ont ce potentiel, d’autres pas.
Savez-vous pourquoi ?
Pas du tout. D’ailleurs, j’ai arrêté
depuis un certain temps de savoir pourquoi. J’ai atteint l’apothéose de ma vie
: aujourd’hui, je sais que je ne sais pas. Et que les sujets me viennent
difficilement. Pour moi, écrire a toujours été quelque chose de très difficile.
Le problème, c’est qu’enfant je suis tombé amoureux de la littérature. Plus
tard, je me suis dit que je pourrais être écrivain. Alors j’ai essayé et ça a
marché à un certain degré. Si j’avais pu faire quelque chose de mieux,
croyez-moi, je l’aurais fait volontiers ! Mais au début, c’était très excitant,
alors j’ai continué.
Avez-vous toujours le désir
d’écrire ?
Non. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention
d’écrire dans les dix prochaines années. Pour tout vous avouer, j’en ai
fini. Némésis sera mon dernier livre. Regardez E. M. Forster, il a
arrêté d’écrire de la fiction vers l’âge de 40 ans. Et moi qui enchaînais livre
sur livre, je n’ai rien écrit depuis trois ans. J’ai préféré travailler à mes
archives pour les remettre à mon biographe. Je lui ai remis des milliers de
pages qui sont comme des mémoires mais pas littéraires, pas publiables tels
quelles. Je ne veux pas écrire mes mémoires, mais j’ai voulu que mon biographe
ait de la matière pour son livre avant ma mort. Si je meurs sans rien lui
laisser, par quoi commencera-t-il ?
Mais vous venez de passer
l’entretien à dire que la vie d’un écrivain n’influence pas forcément son
travail, et vous trouvez important qu’on écrive votre biographie ?
Je n’ai pas le choix. Si j’avais le
choix, je préférerais qu’il n’y ait pas de bio sur moi, mais il y aura des biographies
après ma mort, donc autant être sûr qu’il y en ait une qui soit exacte. Blake
Bailey a écrit une excellente biographie de John Cheever, qui était un de mes
amis difficile à biographier car, homosexuel et alcoolique, il a passé presque
toute sa vie à se cacher. Bailey m’a contacté, nous avons passé deux jours
entiers à parler, et il m’a convaincu. Mais je ne contrôlerai pas son travail.
De toute façon, 20 % seront faux, mais c’est toujours mieux que 22 %.
Commencez-vous à préparer vos
archives pour après votre mort ?
Une fois que Blake Bailey s’en sera
servi, j’ai demandé à mes exécuteurs testamentaires, mon agent Andrew Wylie et
une amie psychanalyste, de les détruire après ma mort. Je ne veux pas que mes
papiers personnels traînent partout. Personne n’a à les lire. Tous mes
manuscrits sont déjà à la Bibliothèque du Congrès, depuis les années 1970.
À 78 ans, quel regard jetez-vous
sur ce que vous avez écrit ?
À 74 ans, j’ai réalisé que je n’avais
plus beaucoup de temps, alors j’ai décidé de relire les romans que j’avais
aimés à 20 ou 30 ans, parce que c’est ceux-là qu’on ne relit jamais.
Dostoïevski, Tourgueniev, Conrad, Hemingway… et quand j’ai fini, j’ai décidé de
relire tous mes livres en commençant par la fin : Némésis. Jusqu’au
moment où j’en ai eu marre, juste avant Portnoy et son complexe, qui
est imparfait. Je voulais voir si j’avais perdu mon temps à écrire. Et j’ai
pensé que c’était plutôt une réussite. À la fin de sa vie, le boxeur Joe Louis
a dit : “J’ai fait du mieux que je pouvais avec ce que
j’avais.” C’est exactement ce que je dirais de mon travail : j’ai fait du
mieux que j’ai pu avec ce que j’avais.
Et après ça, j’ai décidé que j’en avais
fini avec la fiction. Je ne veux plus en lire, plus en écrire, et je ne veux
même plus en parler. J’ai consacré ma vie au roman : je l’ai étudié, je l’ai
enseigné, je l’ai écrit et je l’ai lu. À l’exclusion de pratiquement tout le
reste. C’est assez ! Je n’éprouve plus ce fanatisme à écrire que j’ai éprouvé
toute ma vie. L’idée d’affronter encore une fois l’écriture m’est impossible !
N’exagérez-vous pas un peu ?
Écrire, c’est avoir tout le temps tort.
Tous vos brouillons racontent l’histoire de vos échecs. Je n’ai plus l’énergie
de la frustration, plus la force de m’y confronter. Car écrire, c’est être
frustré : on passe son temps à écrire le mauvais mot, la mauvaise phrase, la
mauvaise histoire. On se trompe sans cesse, on échoue sans cesse, et on doit
vivre ainsi dans une frustration perpétuelle. On passe son temps à se dire :
ça, ça ne va pas, il faut recommencer ; ça, ça ne va pas non plus, et on
recommence. Je suis fatigué de tout ce travail. Je traverse un temps différent
de ma vie : j’ai perdu toute forme de fanatisme. Et je n’en ressens aucune
mélancolie.
Il n’y aura donc plus jamais de
nouveau roman de Philip Roth ?
Je ne pense pas qu’un livre de plus ou de
moins changera quoi que ce soit à ce que j’ai déjà fait. Et si j’écris un
nouveau livre, il sera très probablement raté. Qui a besoin de lire un livre
médiocre de plus ?
Pas envie d’écrire sur l’Amérique
d’aujourd’hui ?
J’ai 78 ans, je ne connais plus rien de
l’Amérique aujourd’hui. Je la vois à la télé. Mais je n’y vis plus.
Pour finir, un mot de politique à
deux mois des élections. Pensez-vous que Mitt Romney ait des chances contre
Obama ?
Non, mais pas pour les bonnes raisons,
juste parce qu’il n’a aucune aura et que même les Américains commencent à
comprendre à quel point il est ennuyeux. S’il gagnait, ce serait un désastre –
les présidents américains de droite sont toujours des désastres. Alors qu’Obama
m’impressionne toujours. Cela faisait très longtemps qu’on n’avait pas eu une
telle intelligence à la Maison Blanche. Je vais donc voter à nouveau pour lui.
Mais vous savez, je n’aime pas parler de politique. Qui suis-je pour donner mon
opinion en public ? Je ne suis qu’un citoyen comme un autre.
Némésis L'histoire :
Newark, Etats-Unis, 1944. Une épidémie de polio sévit dans cette ville de
près de 450 000 habitants. D'abord épargné, le quartier juif de Weequahic
connait ses premiers malades, puis la propagation de l'épidémie. Bucky Cantor, 23 ans, vigoureux directeur du terrain de sports, continue à
accueillir les enfants et fait face avec courage et sang-froid à l'apparition
des premiers cas, des premiers morts, au deuil et à la douleur des familles.
Cantor veut "bien faire", être un bon garçon, accomplir son devoir,
d'autant plus qu'il se sent coupable de ne pas être au Front avec ses camarades engagés dans les combats en Europe, à cause de sa
mauvaise vue. Comme d'autres avant lui - Camus, avec "La Peste", ou Giono, avec "Le hussard sur le
toit"- Roth s'attaque à un sujet propice à la
dramaturgie : une communauté d'hommes face à un cataclysme qui les dépasse, et
les sentiments qui en découlent : la peur, la culpabilité, la colère, la
douleur, le désarroi, l'égoïsme.
Un sens du devoir exacerbé
L'ampleur de la catastrophe, et la violence des sentiments déclenchés, Roth
les décrit posément, décortiquant les états d'âme de Cantor, de sa fiancée, des
familles touchées par la maladie et par la mort, chacun réagissant avec ce
qu'il est. Cantor a déjà été frappé par le sort : une mère morte en couches en
lui donnant naissance, un père escroc et absent. Cantor a grandi dans un milieu
modeste. Son grand-père "a pris en main le
développement viril du garçon", lui a inculqué les valeurs morales et un
sens aigu du devoir. Il a reçu les soins bienveillants de sa grand-mère, douce
et aimante. Il aime et est aimé par une jeune fille issue d'un milieu
plus riche, dont le père est médecin et lui inspire envie et admiration.
Jusque-là, Cantor a accepté son destin.
Orgueil mal placé
L'abominable maladie touche des enfants en pleine santé, au mieux les rend
infirmes, au pire les emporte en quelques jours. L'épidémie déclenche chez
Cantor des sentiments contradictoires, lui rendant tout à coup insupportables
toutes les injustices qu'il a subies depuis sa naissance. Déchiré entre la
nécessité d'accomplir son devoir et l'envie de vivre une belle vie prometteuse
avec sa jolie et riche fiancée, Bucky se trouve pris au piège de son orgueil,
écrasé par une responsabilité qu'il ne peut s'empêcher de s'attribuer, quand il
ne s'en prend pas directement à Dieu.
Comme le "petit Français", médecin à l'héroïsme zélé dans
"Le Hussard sur le toit", Cantor se sent investi d'une mission. Il ne
supporte pas de ne pas pouvoir sauver les enfants. "Je voulais aider les
gosses à devenir forts, et au lieu de cela je leur ai fait un mal
irrévocable", dit-il, sans que rien ne puisse apaiser ses tourments.
"Nous avons tous une conscience", essaie de le rassurer le docteur
Steinberg, le père de sa fiancée, "et une conscience est quelque chose de
précieux, mais pas si elle commence à vous faire croire que vous êtes coupable
de ce qui dépasse largement le champ de vos responsabilités."
"Parfois on a de la chance, et
parfois on n'en a pas. Toute biographie tient du hasard"
La maladie ne s'attaque pas qu'aux corps, mais imprime des déformations
irréversibles sur certains esprits. Ce que décrit Roth, c'est aussi l'inégalité
face au malheur. Certains sont mieux armés que d'autres pour affronter une
épreuve, mieux armés pour accepter un drame et continuer à vivre, malgré tout.
Cantor ne peut pas accepter cette tragédie. Il ne peut pas ne pas se sentir
coupable. Il faut qu'il "convertisse la tragédie en culpabilité. Il lui
faut trouver une nécessité à ce qui se passe. Il y a une épidémie, il a besoin
de lui trouver une raison. Il faut qu'il se demande pourquoi. Pourquoi?
Pourquoi? Que cela soit gratuit, contingent, absurde et tragique ne saurait le
satisfaire." Cantor se laisse enfermer dans un "orgueil stupide, non
pas l'orgueil de la volonté et du désir, mais l'orgueil d'une interprétation
religieuse infantile, chimérique". Son excès de vertu et un sens exagéré
des responsabilités le conduisent au désastre.
Un dernier roman accompli
La vie, la mort, Dieu, Philip Roth reprend dans ce roman naturaliste tous
les thèmes qui lui sont chers et déroule brillamment le
fil de son récit, nous donnant à assister à l'autodestruction d'un homme
apparemment solide et courageux, mais dont le surgissement d'un événement
dramatique extérieur réveille la vulnérabilité. Un homme ni brillant ni
insouciant, incapable d'accepter la "force des choses" et son
absurdité, un "maniaque du pourquoi", sa rigidité morale et son orgueil le plongeant dans une vie tragique, où il
s'inflige lui-même une punition digne des foudres de Némésis, déesse grecque
chargée de punir l'excès de bonheur, les outrages ou l'orgueil.
Le narrateur, discret au début du roman, prend clairement sa
place dans la dernière partie du livre, et du même coup dans la fin de la vie
de Bucky Cantor. Enfant du terrain de jeu, Arnold Mesnikoff arrive dans le
récit comme un révélateur, contradicteur et contre-exemple, montrant que malgré
la "tyrannie de la contingence", chacun peut rester maître de sa vie.
Philip Roth ne tranche pas. Il laisse le lecteur avec cette interrogation :
"Peut-être que Bucky n'avait pas tort (...) Peut-être qu'il était en
vérité la flèche invisible."
Tout le talent de Roth est d'aborder des questions philosophiques
complexes, simplement en racontant une histoire. "Némésis" est un
très grand roman, qui vaudra peut-être à son auteur, oublié jusqu'ici malgré
une œuvre colossale, de recevoir le Nobel de littérature. D'autant que
"Némésis" sera son dernier livre, c'est Philip Roth qui le dit.
Némésis (Gallimard), traduit de
l’anglais (États-Unis) par Marie-Claire Pasquier, 240 pages, 18,90 €
فيليب روث يكشف لعبة القدر البشري
باريس - أنطوان جوكي
الجمعة ١٦ نوفمبر ٢٠١٢
بغية تسهيل فهم مساره الكتابي الطويل الذي يمتد على مدى نصف قرنٍ، عمد الكاتب الأميركي فيليب روث منذ سنوات إلى تقسيم رواياته الغزيرة إلى أربع مجموعات وفقاً للشخصية التي تؤدّي الدور الرئيس فيها. وفي هذا السياق جمع الروايات التي نشطت فيها شخصية زوكرمان، ثم تلك التي تركّزت على شخصية كيبيش، فالروايات التي يظهر الكاتب فيها شخصياً، من دون أن ننسى تلك التي تختلط فيها شخصيات ومواضيع من نصوصٍ سابقة بشخصياتٍ ومواضيع جديدة.
ولكن منذ فترة قصيرة، انطلق روث في كتابة رباعية تحت عنوان «نيميسيس» (Némésis) تتميّز بنصوصها القصيرة وبطغيان موضوعَي الموت والحُكم الأخلاقي عليها. وعلى رغم جدّية هذين الموضوعَين، بدت الأجزاء الثلاثة من هذه الرباعية ضعيفة في نظر بعض النقّاد تبعاً لمثابرة روث فيها على مقاربة هواجس جنسية يصعب تبريرها لدى رجلٍ كان قد بلغ العقد السابع من عمره. ولعل هذا ما دفعه في خاتمة هذه الرباعية، التي صدرت ترجمتها الفرنسية حديثاً لدى دار «آكت سود» الباريسية، إلى منحنا نصّاً عفيفاً وقوياً يحمل عنوان الرباعية ويمدّها بتماسكٍ استعادي أكيد.
وتجدر الإشارة أولاً إلى أن «نيميسيس» هي إلهة الانتقام لدى الإغريق، كما أنها عبارة شائعة في الولايات المتحدة تعني القدرية التي يستحيل الإفلات منها. وبالنسبة إلى الشخصية الرئيسة للرواية، باكي كانتور، تحضر هذه القدرية على شكل مرض شلل الأطفال (poliomyélite)، أو هذا ما نظنّه في البداية. أما أحداث الرواية فتقع خلال السنة الأخيرة من الحرب العالمية الثانية في مدينة نيوويرك (Newark) التي وُلد فيها روث وترعرع.
وباكي كانتور هو شاب في سن الثالثة والعشرين يعمل أستاذاً للرياضة في مدرسة «شانسلور أفينيو». ومع أنه بطلٌ في السباحة والغطس مفتول العضلات، لكن بسرعة يتبيّن لنا أنه قبل أي شيء شخصٌ يؤمن بالواجب لتعلّمه على يد جدّه، الذي ربّاه على أثر وفاة أمه، أن الرجولة تكمن خصوصاً في تحمّل المسؤوليات التي تقع على عاتقنا. ولأن صديقيه الحميمَين نجحا في الانخراط بالجيش ورحلا إلى فرنسا لمحاربة النازيين، نجده يتحسّر على وضعه لعدم تمكّنه من مرافقتهما بسبب ضعف نظره الذي حال دون قبول تطوّعه. لكن قدره سيمنحه فرصة القتال على جبهة من نوعٍ آخر لا تقل شراسةً عن جبهة الحرب. إذ لن تلبث عدوى مرض شلل الأطفال القاتلة آنذاك أن تنتشر في مدينته حاصدةً الصغار والكبار، الواحد تلو الآخر، فتحل حالة من الهستيريا الجماعية والخوف على سكان نيوويرك بعد إخفاق كل التدابير الاحترازية لإيقاف هذه العدوى.
وبسرعة، يأخذ باكي على عاتقه مهمة السهر على سلامة تلاميذه وتعزية الأهالي الذين فقدوا أولادهم وتهدئة جموح بعض سكان المدينة الذين يبحثون عن كبش محرقة للثأر منه. وبعد رفضه في البداية الالتحاق بحبيبته مارسيا ستاينبرغ التي كانت تعمل في مخيّم للأطفال في جبال بوكونوس، بعيداً من العدوى، على رغم عثورها على عملٍ له في المخيّم، يستسلم في النهاية لرغبتها، خصوصاً أن العناية الإلهية نفسها بدت له وكأنها قد تخلّت عن مدينته. لكن فرار باكي من قدره لن يكون سوى فرار وهمي. فمثل أوديب الذي حقّق نبوءة كاهنة معبد دلفي بمحاولته الإفلات منها، تلحق العدوى بباكي إلى المخيّم، قبل أن يتبيّن له أنه هو مَن أتى بها. ومع أنه يفلت من الموت فهو يصاب بالشلل فيقطع علاقته بمارسيا لتحريرها من عبء الاهتمام به ويحكم على نفسه بالعزلة والتعاسة حتى النهاية.
تراجيديا الحقيقة
بأسلوبٍ مصفّى إلى أبعد حد ومهاراتٍ سردية نادرة، يمنحنا روث في هذه الرواية تراجيديا حقيقية. فبطلها يبدو محكوماً بالخضوع لقدرٍ أسوَد على رغم إرادته الصلبة ونياته الطيّبة. وإلى جانب موضوع الموت الكلّي الحضور فيها، يطغى على أحداثها موضوعَا الخوف والظلم: خوفٌ يستشري في أنحاء المدينة ويطاول باكي الذي يخشى ألا يكون في مستوى المسؤوليات الواقعة على عاتقه؛ وظلمٌ يستشعره باكي بسبب وفاة أمّه أثناء إنجابه وعدم معرفته لأبيه وبسبب حصد العدوى، تحت أنظاره، عشرات الأطفال الأبرياء، مما يدفعه إلى حد مساءلة قناعاته الدينية على ضوء المآسي المتتالية.
ومثل سائر روايات روث، ثمة جدلية فاعلة داخل هذا النص بين حسّ المسؤولية والرغبة، بين ما علينا أن نفعله وما نرغب في فعله، بين اتّباع صراطٍ مستقيم والاستسلام لملذّات الحياة. ومع أننا نعرف إلى أي جهة كان يميل الكاتب في الماضي، ها هو يبرهن عن تحوّلٍ غير متوقع في موقفه. ومع ذلك، تبدو قيَم النزاهة والتضحية بالذات التي تتحلى بها شخصية باكي، وتجذبنا داخل الرواية، غير مجدية ولا تقود إلى أي مكان.
ففي البداية، تظهر مشاكل باكي وكأنها ناتجة من قراره الالتحاق بحبيبته وإهمال واجباته تجاه أطفال مدينته وأهاليهم، ولكن في النهاية يتبيّن لنا أن سبب بؤسه الحقيقي هو حسّ الواجب المفرط لديه وتوقه إلى المسؤولية الكاملة واعتقاده بأن ثمّة معنى لكل شيء. فمع انطلاق العدوى، يوجّه أصابع الاتهام إلى البارئ قبل أن يحوّل غضبه في اتجاه نفسه، لأن أناه المثالية الثائرة تتطلّب مذنباً ولا تقيم أي اعتبار للعارض والعبثي اللذين يتحكّمان بقوة في حياتنا.
ومقارنة بشخصيات روث السابقة، يظهر باكي كشخصية باهتة ينقصها حسّ الطرافة. وبرسمها على هذا النحو، يحذف الكاتب منها ما يُشكّل قوّته وميزته الرئيسة. لكن هذه الشخصية هي أيضاً مقابلٌ ضروري لكل الغرائز الحاضرة في أعماله السابقة. وحين نفكّر قليلاً، يتبيّن لنا أن من المنطقي أن يترك روث للنهاية تحدّي استكشاف حياةٍ مضادّة قائمة على الحرمان والتزهّد، خصوصاً أن هذا النصّ هو خاتمة مساره الروائي.
ولم يخطئ النقّاد الذين أشاروا إلى تشابهٍ كبير بين هذه الرواية ورواية ألبير كامو «الطاعون». فمثل هذا الأخير، يضعنا روث أمام شخصيات عليها مواجهة عدوى مميتة ولا سلاح في يدها سوى اللجوء إلى ضميرها المعذّب، ويروي كذلك تطوّر هذه الكارثة والهلع الذي يحلّ على سكان المدينة ويدفعهم إلى البحث عن المذنبين. وبينما يرمز الطاعون في رواية كامو إلى احتلال الألمان لفرنسا، تشكّل العدوى المتربّصة بالطائفة اليهودية في مدينة نيوويرك، في رواية روث، استعارة قوية لعملية الإبادة الجماعية لليهود التي كانت سائرة في الوقت ذاته في ألمانيا.
وثمة بُعدٌ مجازي آخر في هذا النص يتعلّق بهرم جسدنا الحتمي مع مرور الزمن، بعد اختبارنا الصحة والعافية. ولوصف ذلك، اعتمد روث على التصوير السريع عبر جعلنا نرى باكي بجسدٍ رياضي يتحوّل بين ليلةٍ وضحاها إلى جسدٍ مشلول يتطلّب تحريك أحد أعضائه جهداً جبّاراً.
لكن أكثر ما يشدّنا في هذه الرواية يبقى وصف روث الدقيق داخلها لعنف العواطف الناتجة من الكارثة الواقعة وتصويره من أقرب مسافة ممكنة حال كلّ من باكي وحبيبته والأشخاص الذين ضربتهم العدوى، مبيّناً تفاوت ردود فعل البشر تجاه أي محنة ومسلّطاً ضوءاً كاشفاً على الألم الذي يتربّص بنا طوال حياتنا ويضربنا عاجلاً أو آجلاً في عمق كينونتنا فيكشف لنا حقيقة وضعنا الهشّ وعزلتنا تحت سماءٍ صمّاء.
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