Comme
c’est le cas depuis de longues années, l’ICOMOS (Conseil International des
Monuments et des Sites) a retenu, pour le 18 avril de cette année, Journée Internationale
des Monuments et des Sites, un thème aussi original que fédérateur : ’’Le Patrimoine
de l’éducation (écoles, universités, bibliothèques, académies etc…) et ses
expressions dans différents contextes géo-culturels’’. L’objectif est simple
mais combien grand : mettre à l’honneur les bâtiments qui ont servi à la
production du savoir et à sa transmission. Ces hauts lieux culturels et
scientifiques, aux valeurs sociales et institutionnelles incontestables sont aussi une composante
essentielle du Patrimoine culturel grâce à leurs dimensions historique et architecturale.
En tant que biens culturels, ils méritent pleinement l’attention de l’Etat
d’abord mais aussi de toute autre partie qualifiée et intéressée afin de
veiller à leur bonne conservation, leur médiatisation et leur ancrage dans le
tissu socio-économique.
La
Tunisie, avec son Patrimoine monumental multiséculaire, peut s’enorgueillir de
ses établissements éducationnels de tout genre et de toute époque : de
l’Université de Carthage, objet de l’éloge de maints écrivains anciens, à la Schola
des Juvenses de Mactaris, exemple rare dans tout le monde romain,
à la prestigieuse Université de La Zitouna qui compte parmi les plus anciennes
des universités médiévales du monde entier, aux innombrables madrasa et zaouias
qui ont quadrillé le pays aux époques modernes et contemporaines, et aux
établissement scolaires et universitaires qui ont fleuri à partir de la fin du
XIXe siècle et qui ont constitué le socle majeur du développement de
notre pays.
Pour
cadrer avec le thème choisi par l’ICOMOS, l’autorité qui accapare la tutelle
aurait pu imaginer, en Tunisie, pour la Journée du 18 avril, un riche programme
qui mette en exergue le Patrimoine séculaire de notre pays en matière de bâtiments
relatifs à l’éducation. Figureraient dans une telle manifestation des
inaugurations de monuments restaurés récemment, des conférences en rapport avec
le sujet, des visites guidées par des personnes qualifiées et des brochures
éditées à l’occasion. Imaginons, à titre d’exemples, des visites guidées de la
Mosquée de la Zitouna, de la Madrasa el Khaldounia, du Collège Sadiki, de la Zaouia
de Sidi Ali Chiha, qui héberge le Centre national de la Calligraphie, d’une école primaire comme celle de Abulkacem
Echabbi à Béni Khiar, qui fête, cette année, son centenaire et qui est si
proche de la place de la République où s’élève fièrement une superbe sculpture représentant
deux petits écoliers (une fille et un garçon) en habit traditionnel : un très
bel hommage à l’école républicaine.
Les
autorités culturelles tunisiennes en déphasage
Notre
Ministère de la Culture, par l’intermédiaire de ses établissements phares en
matière de Patrimoine, l’Institut national du Patrimoine (INP, qui est un
véritable Etat dans l’Etat) et l’Agence de mise en valeur du Patrimoine et de
Promotion Culturelle (AMVPPC) a choisi pour la vingt-deuxième année, de faire
de la Journée du 18 avril l’ouverture du ’’Mois du Patrimoine’’ qui s’achèvera
le 18 mai correspondant à la Journée Internationale des Musées. Le thème retenu
pour l’édition de cette année est ’’Le Patrimoine immatériel … symboles et
mémoires’’.
Nul
doute que le Patrimoine immatériel de la Tunisie, si varié et si riche en
potentialités de tout genre mérite d’être célébré de la meilleure manière
d’autant plus qu’il a été si négligé au cours des dernières décennies. Il
suffirait de penser, par exemple, à l’art culinaire tunisien dont des composantes
essentielles sont irrémédiablement perdues et qui est très mal transmis aux
jeunes du pays comme il est parcimonieusement montré aux visiteurs étrangers.
Mais dans un pays où une section de l’ICOMOS existe depuis de nombreuses années,
c’est à croire que le thème choisi par l’organisation mondiale n’a aucun
intérêt ou n’a aucune possibilité d’être traité en Tunisie. De ce point de vue,
le déphasage est total. De surcroît, le thème choisi, cette année-ci, pour le ’’Mois
du Patrimoine’’ tunisien reste encore confidentiel. A quelques jours de
l’ouverture de la manifestation, seules quelques affiches accolées dans
certains établissements éducatifs ou culturels évoquent le sujet. Les sites Web de l’INP et de l’AMVPPC
n’offrent aucune information supplémentaire ; la rubrique ’’Plus de détails’’
sur le site de l’AMVPPC se révèle être un véritable canular.
S’il
fallait absolument célébrer cette année-ci le Patrimoine immatériel, la
bonne méthode aurait consisté à choisir,
pour la célébration de la Journée internationale des Monuments et des Sites, la
dimension éducative en rapport avec les sites et les monuments. Il n’aurait pas
été difficile de trouver un lien entre le thème retenu par l’ICOMOS et les zaouias
tunisiennes qui ont fait l’objet, au cours des derniers mois, d’attaques
féroces et systématiques qui ont mis en péril leur existence même. Dans ce
malheur, les Tunisiens ont trouvé beaucoup de réconfort dans le communiqué
officiel de l’ICOMOS dont l’une des deux recommandations appelait à « la
sensibilisation de tous les publics et parties prenantes à la valeur culturelle
et exceptionnelle de ce patrimoine et à ses fonctions sociale et spirituelle
sans équivalent ». La gratitude et le sentiment de responsabilité auraient
dû inviter les autorités de tutelle tunisiennes à montrer, en ce 18 avril 2013,
à l’ICOMOS et à travers elle, au monde entier, que les zaouias et tous les
autres établissements qui ont touché, de tout temps, de près ou de loin, à
l’éducation ont, dans notre pays, une valeur qui mérite d’être célébrée haut et
fort. Mais la logique de nos autorités culturelles est toute autre ;
fidèle à ce qui a été pratiqué depuis plus de deux décennies, elle occulte
la Journée internationale des Monuments et des Sites comme elle n’a cure de la
Journée Internationale des Musées. Elle préfère un ’’Mois du Patrimoine’’ déconnecté des célébrations
mondiales et fêté à huit clos ou presque.
Les
nouveaux acteurs qui entrent en scène
Depuis
le 14 janvier 2011, des voix tunisiennes autres que celle des tribunes de la ’’Culture
officielle’’ commencent à présenter une autre perception du Patrimoine culturel
et naturel. Il s’agit de celles des universitaires, des Associations militant dans le champ culturel et des associations
professionnelles oeuvrant dans des domaines qui touchent au Patrimoine culturel
et naturel.
Dès
le début du mois de mars 2011, ’’Une lette ouverte’’ a été publiée par un
groupe d’universitaires appelant à la prise en compte des potentialités des
universités tunisiennes dans le domaine de l’archéologie qui tiendrait compte
du développement régional. Quelques mois plus tard, une pétition relative à ces revendications a été signée
par plusieurs centaines d’universitaires et remises aux cinq ministères les plus concernés par la
question. Une première ’’Journée du Patrimoine’’ a été organisée, le 23 juillet 2011, par le
Laboratoire de recherche ’’Régions et Ressources Patrimoniales de la Tunisie’’.
La même structure de recherche a organisé une deuxième rencontre les 16 et 17
juillet 2012 sous le thème ’’Patrimoine et bonne gouvernance. Réalités,
contraintes et perspectives en Tunisie’’, suivie du lancement d’un ’’Appel pour
la création d’un Conseil national pour le Patrimoine tunisien’’. Elle a choisi
le 18 avril 2013 pour organiser la troisième rencontre intitulée ’’La société
face à son Patrimoine : contexte changeant et acteurs nouveaux ’’. A la
fin du mois d’avril 2012, l’Institut Supérieur des Métiers du Patrimoine qui relève
de l’Université de Tunis a organisé des Journées d’étude consacrées aux
’’Métiers du Patrimoine Tunisie. Réalités et perspectives’’ Dans ces quatre rendez-vous, les
universitaires ont associé, à des degrés de plus en plus élevés le monde
associatif. La finalité de cette ouverture est claire : montrer que le Patrimoine
naturel et culturel est un bien dont la conservation, la mise en valeur et l’intégration
au développement régional et local sont, pour notre pays, des questions vitales
qui ne sauraient être confisquées par une partie quelconque. Pris au sens
naturel et culturel, le Patrimoine est un cadre de vie, un mode d’existence,
une identité et une assise certaine pour le développement durable.
Pour
de tels projets, l’attention accordée au Patrimoine doit éviter tous les discours
vaseux, cibler des objectifs précis et être en phase avec ce qui se fait de par
le monde. Au lieu de tout un ’’Mois du Patrimoine’’ aux allures plutôt
bureaucratiques et peu accrocheur pour le grand public, il conviendrait mieux
d’organiser des ’’Journées du Patrimoine’’ (un week-end pourrait suffire) qui
se situeraient, de préférence, pendant les vacances scolaires qui assureraient
la disponibilité d’un public nombreux et curieux et dont l’éducation est
particulièrement important pour l’avenir du pays. Des actions fortement
attractives doivent être imaginées (ouverture exceptionnelle de certains
monuments et sites, expositions temporaires avec des séances nocturnes,
conférences dans des lieux inhabituels...). Cette manifestation serait indépendante de la Journée internationale des Monuments et
des Sites ainsi que de la Journée internationale des Musées qui garderaient
leur individualité et leur thème mondial tout en trouvant, dans tous les cas, un champ d’application certain dans notre pays.
Houcine Jaïdi
(Université de Tunis)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire