"La Tunisie a toujours été écartelée entre Occident et Orient"
Entretien avec Lotfi Aïssa*
Avec toutes les civilisations qui s'y sont succédé, chacune
laissant sa part d'héritage, l'histoire de la Tunisie est extraordinairement foisonnante.
Pouvez-vous nous aider à en remonter le cours ?
Pour avoir une idée de la profondeur historique de la Tunisie, il
faut partir de ses partenaires anonymes, durant la préhistoire. La civilisation
capsienne est la première dont nous avons des indices patents, dans la région
de Gafsa (sud tunisien), ainsi que ceux, croyance, outils et armes, qui nous
viennent d'une ancienne civilisation libyque préhistorique dans la région de
Béja (au nord ouest de la Tunisie).
En termes réels, l'Histoire a commencé avec les royautés Berbères –
les Amazighs- entre 1500 et 1100 avant JC. Elle a ensuite pris une dimension
méditerranéenne avec l'arrivée des Phéniciens à Utique, en 1100 avant JC, et la
fondation en 814 de Carthage (« La nouvelle ville »), dont l'empire
commercial finira par dépasser celui de la cité mère de Tyr (actuel
Liban).
Il est intéressant de se rappeler que la fondation de Carthage est
liée à une légende féminine, celle de Didon, qui a pris une dimension essentielle
dans l'histoire de la Tunisie. Pour se préserver en tant que phénicienne, Didon
a préféré s'immoler avec le feu plutôt que de se marier avec un potentat
berbère. Didon a-t-elle véritablement existé ? Nous n'en avons pas
véritablement de preuves. Mais sa légende s’est cristallisée dans la mémoire
collective, elle est un personnage essentiel, glorifié, auquel la femme
tunisienne s'identifie bien volontiers.
Deux autres personnages de l’héritage antique de la Tunisie sont
très importants, le commandant militaire carthaginois Hasdrubal Barca, qui a
fondé un empire en Espagne et Hannon qui est parti explorer l'Afrique
occidentale. C'est à dire qu'au 4e siècle avant JC, Carthage se met
à étendre son territoire et deviendra le cœur d'un grand pouvoir impérial
central, édifié en État, qui finit par étendre sa domination sur toute la
Méditerranée et bien au-delà jusqu'en
Écosse appelé jadis île Colchide.
Le troisième des grands personnages, de cet empire est la personne
sur qui on a le plus écrit au monde avec Napoléon Bonaparte. Il s’agit bien
entendu d’Hannibal. A-t-on la certitude que son passage sur les Pyrénées a été
aussi glorieux que celui raconté par les auteurs antiques ? C'est sans
doute assez mythique. Mais ce qui est à retenir dans l’évocation de sa
trajectoire, c'est son aptitude à la négociation. Comment ce personnage a-t-il
pu négocier la paix avec les cités romaines ? Pourquoi n'a-t-il pas cherché
à détruire Rome ? Il aurait pu le faire, Rome tenait absolument à détruire
Carthage. Et elle a fini par avoir gain de cause, en créant un réseau
d'espionnage à l'intérieur du parlement carthaginois qui a réussi à retourner
l'aristocratie contre les projets expansionnistes d'Hannibal. Ce dernier finit
par prendre la fuite pour se réfugier en Turquie.
En 146, Carthage fut brûlée, le sel éparpillé sur son territoire
pour l'éradiquer totalement. Les Romains ont hérité des Grecs mais pourquoi
ont-ils détruit une civilisation aussi florissante que celle de Carthage ?
C'est peut-être déjà à l'époque une histoire de mondialisation, de routes
maritimes et de rivalité commerciale : Carthage était un adversaire
redoutable et un empire commercial qui régnait sur une multitude de comptoirs,
il fallait à tout prix l'anéantir.
Les Romains n'en restent pas là. Ils détruisent, puis ils
s'installent.
Ils ont créé une véritable dynamique de colonisation avec des
colonies florissantes. Parvenus à Carthage, ils créent une province, la
Proconsulaire, avoisinant la Césarienne (Algérie) et de la Tingitane (Maroc).
La Proconsulaire est la plus importante de ces trois colonies, car elle
disposait des sols les plus fertiles, c'est elle qui nourrissait Rome. Carthage
recelait aussi d'un savoir faire très
supérieur à celui de l'Empire. Travailler et produire, c'est le comportement du
commun des habitants de la Proconsulaire. Thysdrus (actuelle El Jem), dont la
richesse reposait sur le commerce de l'huile d'olive, a été la résidence de
deux empereurs romains, Gordien I et Gordien II en 238 de notre ère.
A cette époque, la Proconsulaire est un véritable havre de paix au
regard des turbulences que traversaient Rome. Toutes les provinces d'Occident
sont en guerre, à l'exception de la Proconsulaire. Sans elle, la civilisation romaine
aurait pu s’éclipser dès le 3e s, alors que l'Empire ne s'effondrera
définitivement qu'au 5e s.
La Proconsulaire a apporté à Rome, mais qu'a apporté Rome à la
Proconsulaire ?
L'histoire romaine n'est pas uniquement une histoire de politique,
c'est aussi une histoire d'urbanisation et de romanisation, celle, aussi, d'un rapport à la citoyenneté. Au delà du fait
d’accorder un statut aux cités orientales (civitas) de l'Empire, l'édit de
Caracalla, promulgué en 212, va accélérer la romanisation du territoire de
l’Africa. C'est un fait majeur, une évolution sur laquelle va se bâtir la
christianisation, quand la religion chrétienne deviendra celle des empereurs,
sous Licinius ou Constantin I (272 – 337). L'Afrique prend d'ailleurs les devants
par rapport aux autres provinces de l'Empire ; le bouillonnement culturel
est tel à Carthage qu'elle en devient l'un des piliers de l’Église catholique.
Ce n'est pas du tout, un hasard si un Saint Augustin fut originaire d’Afrique.
Il a ensuite fallu que nous mangions notre pain noir. Les Vandales
sont arrivés, à compter de 425 après JC, et ils ont tout détruit. Une centaine
d'année plus tard, le règne des chrétiens du nord, les Byzantins, s'instaure,
jusqu'à la période des conquêtes arabes, au 7e s. Les Arabes vont
être subjugués par la richesse de cette contrée, ses théâtres, ses thermes....
Il leur faudra cinquante bonnes années de guerre pour amadouer ces populations
africaines. Contrairement à ce que certains prétendent, l'islamisation n'a pas
été une tâche facile. Il y a eu beaucoup de négociation, les musulmans ont du
s’accommoder de ce qui existait en Afrique du nord. Ceci explique peut-être
pourquoi l'islam maghrébin est différent de celui pratiqué en orient.
La Tunisie pratique un islam malékite. Quel est-il?
Le rite malikite est rattaché au nom du juriste médinois Malik Ibn
Anas (m 795). C’est l’une des quatre écoles juridique du monde sunnite
musulman. Le malikisme exige une application littérale des préceptes charaïques.
Tout le Maghreb, ainsi que la partie ouest du continent africain, l’ont adopté,
en l’accommodant aux us et coutumes particuliers de cette aire géographique. Ce
qui a fini par nous donner un corpus de jurisprudences malékites qui s’est
accommodé progressivement avec la
réalité du terrain.
Les Arabes fondent Kairouan, la capitale de l'Ifriqya. Quel est ce
territoire ?
L'Ifriqya est un territoire lâche dont les confins vont du
Constantinois algérien jusqu'au Golfe de Syrte en Libye. L'islamisation a pris
cinq siècles, c'est le temps qu'il a fallu à la Tunisie pour devenir,
véritablement, une entité nouvelle, anciennement chrétienne mais désormais définitivement
intégrée dans le giron de l’islam. Du 7e jusqu'au 12e s,
des évêchés étaient bien présent sur le territoire tunisien, et un mélange de
langues et d’idiomes latins et berbères continuaient à être largement utiliser.
Qui sont les Hilaliens, qui sont ensuite venus saccager
l'Ifriqya ?
Les Hilaliens sont des nomades venus de la péninsule arabique, qui se
sont déferlé sur le territoire en « horde » dont le nombre fut estimé
à 200 000 guerriers. Ils ont « parait-il » tout détruit sur leur
passage. Mais Ils étaient venus pour s'installer définitivement, leur
accommodation avec les traditions sédentaires a pris pas moins de trois siècles. C'est à nouveau une histoire très
importante car elle prouve la patience de la population et ses facultés
de négociation, et ses capacités à
approuver le vivre ensemble.
Le génie de la population autochtone, c'est de concevoir et en
parallèle avec l'islam conformiste et charaïque, un islam maraboutique, encré
dans le vécu collectif et plus enclin aux multiples formes de médiation et de
sociabilité. Un saint n'étant reconnu au Maghreb, que s'il réussit à apporter
des solutions à tous les problèmes du complexe au plus incongrus. Ce que les
orientalistes ont appelé marabout est en réalité un médiateur social. Ceux qui
ont islamisé les « hordes » tribales venues d’Arabie via le sud
égyptien, sont les maghrébins, alors que ceux qui ont arabisé les maghrébins
sont des arabes.
L'histoire de la Tunisie est un exemple de notre ambivalence
culturelle. Nous sommes écartelés entre deux directions : c'est un pays
périphérique qui a constamment mélangé deux centralités, la centralité
occidentale, celle de Rome mais aussi de Byzance, et la centralité orientale,
islamique, qui nous vient des Omeyyades
et des Abbasides, et des Fatimides (chiites), qui ont d'abord créé un État en
Tunisie avant de partir en Égypte et d'y fonder Le Caire.
Après l'arrivée des arabes, la Tunisie fait l'expérience d'une
certaine indépendance vis à vis de l'Orient. Et suite la déconfiture de l’empire
Almohade, des îlots territoriaux, essentiellement basés sur des pouvoirs
dynastiques, vont voir progressivement le jour. Il s’agit les Aghlabides, des
Zirides et de la fameuse dynastie des Hafsides.
Quand s'est formée l'entité territoriale Tunisie telle que nous la
connaissons aujourd'hui ?
La Tunisie telle que nous la concevons aujourd’hui, c'est-à-dire
cette portion congrue du territoire maghrébin, est un legs des Turcs. En 1574,
elle est devenue une province ottomane. Une province non-censitaire, ne versant
pas de redevances au pouvoir central et conservant, de ce fait, une relative
indépendance.
Pourquoi ce privilège ?
Parce qu'elle est une zone assez proche des infidèles d’occident.
Pour les Ottomans, cette province était une frontière, donc une zone de combat.
Et on ne réclame point de redevances à des gens qui combattent les chrétiens
sur la frontière de l’empire monde ottoman. Sur cette forme d’émancipation
territoriale vont se créer deux dynasties, la dynastie mouradite et la dynastie
husseinite qui vont gouverner la Régence de 1630 à l’institution de la
République en 1957. La première vient de la Corse. Les Husseinites, eux,
venaient de l’ile de Candia en Crète où ils avaient intégré la soldatesque
turque.
A partir d'un certain moment, les Turcs ne vont plus accepter qu'on
les nomme ainsi, mais préfèrent plutôt être qualifié de hanafites, se
référant ainsi, à une école juridique sunnite, qu’a une appartenance allogène
revendiquée. Ils sont désormais, tunisiens, de rite hanafite. Il y a eu donc un
processus « d’indigénéisation ».
Les Turcs ont apporté trois choses essentielles. La première, c'est
le rapport à la fiscalité. Pour la première fois, tous les tunisiens sont
devenus des contribuables ; les gens comprennent qu'ils doivent produire
plus que leurs besoins, et que l'argent doit venir d'eux pour construire
quelque chose. Cela a permis le développement des marchés, et la tenue des
registres fiscaux, pour s’acquitter des redevances.
Le deuxième apport est celui de la délimitation du
territoire : prélever des impôts implique de savoir, où commence et ou
s'arrête le territoire. Il y a eu de sérieux conflits entre les provinces
turques d'Afrique du Nord, celle d'Alger ou de la Tripolitaine et celles de
Tunisie. Ils ont presque tous tourné autour de la fiscalité, qui devrait paie
quoi ? D'où l’émergence de l’Etat moderne et la délimitation du
territoire.
Le troisième élément important, c’est l’avènement des explorateurs
et des sociétés géographiques occidentales au 19e siècle. Elles nous
ont légué, une bonne fois pour toute, une concrète connaissance du territoire
tunisien en le représentant ou cartographiant.
Avec la fiscalité, la délimitation du territoire et les représentations
cartographiques, la boucle est bouclée, et nous avons tenu cette Tunisie ou ce
territoire congru de l’espace maghrébin auquel tous les tunisiens se
reconnaissent aujourd’hui.
Vient alors la France, qui établit son protectorat en 1881. Comment
marque-t-elle la Tunisie ?
Au-delà de la réalité spoliatrice et oppressive du colonialisme, la
France nous à énormément – résolument à son corps défendant- apporté, même si
le bilan reste mitigé et diversement apprécié, car, il s'agit d'un régime
colonial. Mais le bilinguisme c'est installé et notre ambivalence a été
définitivement celée. Aujourd'hui encore, l'école reste bilingue. Mais au delà de la langue, il y a eu
aussi la création des associations sportives, le cinéma, le théâtre. Pour moi,
la France, c'est la langue, les partis politiques, les syndicats, une
initiation aux normes qui régissent la vie civile et l’organisation de la cité.
Les partis politiques et les syndicats, elle les a laissé émerger
malgré elle ?
Oui certainement. En tout cas, en ce qui me concerne, je viens
d'une génération qui n'a pas connu la colonisation. Je suis un pur produit de
l'école publique républicaine tunisienne et j’ai toujours été initié aux
manuels écrits par des Tunisiens et non par des Français, écrits, aussi bien,
en arabe qu'en français. J'ai eu des enseignants français, anglais,
pakistanais, américains, belges. Une formation très ambivalente et on ne peut
enrichissante ! Il y avait aussi le Ciné club. A 12 ans, moi, le modeste
petit Kairouanais, je connaissais déjà la nouvelle vague, le cinéma d’auteur et
surtout Fellini ! Ça m’a véritablement marqué à vie et je suis resté un
passionné du cinéma.
Nous nous sommes appropriés l'héritage Français et nous continuions
à faire valoir son coté avantageux.
C'était ça le « deal » de Bourguiba : mettre les gens à l'école,
libérer la femme, et créer un État. Autoritaire cela va sans dire ! Car
pour lui, tout le monde était en apprentissage, et on ne pouvait pas faire
valoir la démocratie dans un pays en apprentissage.
La plus grande force de Bourguiba, c'est donc d'avoir su récupérer
l'héritage pour le faire fructifier ?
Bien entendu. Mais le problème, c'est qu'il a cru qu'en faisant ça,
il serait à l'abri de toute contestation. Or, les nouvelles générations ne se
sont pas reconnues dans son projet. Au début des années 1970, il est
pratiquement en rupture de ban avec la réalité politique : il est une
autre personne, très diminuée par la maladie, qui passait le clair de son temps
à faire des séjours médicaux de trois ou quatre mois en Allemagne, en Suisse ou
en France. On ne le voyait pas souvent, sauf pour les mois d’été et à l’occasion
de la célébration de son anniversaire le 3 août. Il a vécu comme un monarque,
et il a fini par sortir par la petite porte. Mais Voilà que maintenant un
véritable « retour de Bourguiba » voir une véritable iconisation de son
image, un engouement pour ses mérites est entrain de prendre du terrain!
Bourguiba avait l'obsession de marquer l'histoire de la Tunisie.
Lesquels de ses illustres prédécesseurs avaient sa considération ?
Il n'y a en eu pour lui que
trois personnages dignes d’être retenus par l’histoire. Hannibal, un général carthaginois, Jugurta, un roi numide,
et Kheireddine un ministre réformateur (1874-1877) et un mamelouk arrivé à onze
ans et formé à la nouvelle école polytechnique de Tunis, créée en 1842.
Kheireddine a écrit un ouvrage majeur (Le plus sûr moyen pour connaître
l'état des nations). Il a instauré
des réformes salutaires en Tunisie. Autour de lui gravitait toute une élite d’intellectuels,
qui a fréquenté comme lui l’école polytechnique et qui a voulu instaurer des
réformes en Tunisie dans l'espoir d'empêcher la colonisation par la France. Ils
savaient, que ces derniers présents en Algérie depuis 1830, allaient à cour ou
à moins échéance envahir le pays. Ils ont tout tenté en multipliant les
réformes, mais ils ont hélas échoué.
En 1861, avant même l'arrivée de Kheireddine au pouvoir, la Tunisie
s'était déjà donné d'une Constitution, la première dans tout le monde
arabo-musulman.
Oui. Elle avait été précédée en 1857 par le Pacte fondamental Ahd
El Amen, en arabe, ou parole d’honneur donnée par le bey pour faire régner
la justice et la paix. Il s’agissait au fait d’un texte de sept amendements qui
donne aux minorités juives et chrétiennes les mêmes droits que les Tunisiens.
Il y a ensuite eu la promulgation d’une véritable constitution en 1861,
comportant pas moins de 113 amendements, qui organisait le territoire et l’État
d'une autre manière (unification des tribunaux, organisation des
corporations de métiers...)
Qu'est-ce qui distingue la Tunisie des autres pays du Maghreb, qui
eux aussi ont été traversés par de nombreuses civilisations ?
C'est son rapport à la centralité. En Tunisie le gouvernement
central s'est installé depuis très longtemps. De ce fait, il s'est pérennisé et
il est devenu une tradition politique. D'ailleurs, la ville de Tunis est
devenue capitale de la Tunisie avec les Hafsides, vers 1230. Mais le plus
important, c'est la polarisation de l'espace par rapport à la ville de Tunis.
Carthage (aujourd'hui située en banlieue de Tunis) est, depuis sa fondation, le
centre de tout un empire. Les tunisiens ne conçoivent pas le pouvoir en dehors
de cette centralité. C'est une situation à la fois avantageuse et accablante,
car en Tunisie on ne sait pas décentraliser !
L'histoire est pétrie autrement chez nos voisins Libyens,
Algériens, Mauritaniens ou Marocains. Cela ne veut pas dire que nous ne leur
rassemblons pas, loin s'en faut. Dans le vécu de ces populations, il y a
énormément de ressemblances. Mais dans leur histoire et leur rapport à l’État,
il y a des différences éminemment importantes.
Pourquoi la décolonisation s'est-elle passée si différemment en
Tunisie et en Algérie ?
Elle s'est faite de manière négociée et moins belliqueuse en
Tunisie. Bien sûr, un mouvement de résistance s'était instauré dès l’avènement
du Protectorat en 1881. Les Français ont imposé un modèle, les Tunisiens s'y
sont opposés. Mais ils l'ont fait en apprenant à s’opposer politiquement.
Et une personne a su cristalliser toutes les attentes des
Tunisiens, en trouvant les mots justes pour le dire c’est bien évidemment le
fondateur de la Nation tunisienne Bourguiba. Il était à la fois pédagogue et
psychologue. Pour moi, il a imité à merveille Périclès en se métamorphosant en « psychagogue » :
il savait dire aux gens exactement ce qu'ils attendaient, et il leur traçait un
horizon viable. C'est d'ailleurs ce qui manque à la Tunisie postrévolutionnaire,
une vision et un traceur d’horizon.
Hormis à l’époque de Carthage, la Tunisie n'a jamais abrité un
peuple de conquérants. Elle a tout laissé venir à elle, est-ce une faiblesse ou
un atout ?
La réponse à cette question est à mon avis plus géographique qu'historique :
la Tunisie présente le relief le moins accidenté du Maghreb, que l'on peut
pratiquement parcourir en une journée. Une telle situation représente pour moi
une véritable richesse. La Tunisie devrait à mon sens revendiquer haut et fort
sa « créolité ». Ceux qui sont venus avec leur propre culture l'ont
mélangée à celle des Tunisiens. Les gens ne sont pas belliqueux, en tout cas
moi je ne regarde pas les choses avec le regard assurément réducteur de
vainqueur/vaincu.
FIN
*Historien tunisien, agrégé et docteur d’Etat ès Sciences Humaines,
Lotfi Aïssa enseigne l’histoire moderne à l’université de Tunis depuis 1989. Il
est l’auteur de plusieurs ouvrages et travaux de recherche sur l’histoire de la
sainteté, dont notamment « Le Maghreb des soufis ». Il a aussi dirigé
et publié d’autres travaux, portant sur l’histoire sociale et culturelle de la
Tunisie et du Maghreb. En 2014 il a publié aux éditions Nirvana un collectif
intitulé « Être tunisien : Opinions croisées ».
Lotfi Aïssa tient depuis 2011 un blog bilingue, traitant du passé
et du présent du Maghreb. http://lotfiaissa.blogspot.com/
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