L'interrogation identitaire traverse
aujourd'hui la majorité des sociétés de la planète ce qui est, en partie, une
conséquence de la mondialisation qui brouille les repères. Mais, dans certaines
parties du monde, cette interrogation se transforme en véritable
"panique" identitaire : soit dans les grandes puissances qui voient
leur hégémonie contestée (Europe, classe moyenne blanche aux Etats-Unis), soit
dans les régions où la récurrence de cette question a pu être renforcée par les
ingérences occidentales. Et, dans tous les cas, des idéologies se trouvent là
pour répondre à cette panique en prônant un retour à une supposée pureté
d'origines en grande partie fantasmées.
C'est le cas du monde arabe, où la question identitaire présente toutefois
quelques particularités. Alors que dans une bonne partie du monde, et en
particulier dans les démocraties européennes et américaines, le multiculturalisme
devient une modalité majoritaire du vivre ensemble, le monde arabe se
caractérise par sa difficulté à intégrer cette dimension dans son mode d'être.
Les
idéologies nationalistes, comme celles s'appuyant sur le référentiel religieux,
se caractérisent par un refus de la pluralité et la volonté d'assurer
l'hégémonie absolue de l'arabité, ou de l'islam, ou plus généralement des deux
conjointement, sur l'ensemble du patrimoine culturel et du fonctionnement
politique et sociétal des pays considérés.
Au
Maghreb, la période postcoloniale se caractérise par la marginalisation des
minorités ethniques et la disparition quasi-totale des minorités religieuses.
D'une certaine façon, alors que les pays dits développés et certains pays
émergents se "multiculturalisent", on est majoritairement dans les
pays du monde arabe à la recherche éperdue d'une introuvable pureté
identitaire.
Les
débats autour de l'identité restent donc vifs, comme si cette marginalisation
et/ou cette disparition des minorités n'avaient pas réglé la question. Plus
encore, ils réactivent les lignes de clivage entre partisans d'un Maghreb
ancrée dans une pluralité ethno-historico-religieuse assumée et ceux d'une
unicité revendiquée. Les deux pôles autour desquels se cristallise cette
question n'ont pas cessé de se faire face. Les élites, comme l'ensemble de la
population, hésitent entre une maghrébinité intégrant l'ensemble des apports et
des stratifications historiques qui font le Maghreb d'aujourd'hui, et une
arabo-islamité qui aurait enseveli ces apports pour occuper la totalité du
champ identitaire.
Un
état des lieux à partir de quatre dimensions qui sous-tendent cette question (le
fait berbère, le fait juif, l'appartenance à l'espace méditerranéen et le
rapport aux origines africaines et aux minorités noirs) méritent d’être scruter
de près pour en savoir plus sur la disposition des populations maghrébines
actuelles à apprécier leurs diversités culturelles ainsi que leurs multiples
appartenances:
Mais
au fait, que ce qui crée autant de résistances à la prise en compte du
melting-pot culturel, comme constituant de l’identité maghrébine plurielle? L’un
des plus gros obstacles, vient de la charge culturelle et religieuse adossée à
la toute puissance du credo. A chaque fois, on est obligé de faire des
concessions à la mythologie « arabe », au détriment de la pluralité
et de la rationalité historique. Au fond, on a besoin que les gens réalisent
que leur identité n’est pas le centre du monde et qu’il y a le genre humain
au-dessus de tout cela. Le fait que très peu d’intellectuels et membres de
l’élite, politique, économique et culturelle, osent se démarquer publiquement
des croyances partagées et de l’idéologie religieuse de l’Etat, semble,
inquiétant. Nous pouvons donc affirmer que les gens ont peur d’être bannis
socialement. Il y a des lignes rouges que personne n’ose dépasser et sur
lesquelles veille l’Etat.
Au moment même ou
notre histoire commune fortement marquée par le discours et l’idéologie
nationaliste, doit impérativement, laisser la place à une histoire
post-nationaliste qui sera, toujours
tout à la fois une histoire
polyphonique, critique et ouverte, qui saura élargir ses curiosités et son
champ d’investigation et regarder bien au-delà du « pré carré national», on se
rend à l’évidence de la carence d’enseignements et de travaux consacrés à
l’histoire des peuples et des civilisations de l’Orient ancien. On ne compte quasiment
aucun spécialiste de l’Egypte ancienne, de la Phénicie ou de la Mésopotamie,
aucun spécialiste, toutes périodes confondues, des diverses civilisations ou
grands pays de l’Extrême-Orient, de l’Amérique du Sud et même de l’Amérique du
Nord, de l’Afrique subsaharienne et de la plupart des principales aires
géo-historiques et politico-culturelles européennes, aucun spécialiste non
plus, de la Turquie et de la Perse modernes ou même du Machrek arabe des quatre
ou cinq derniers siècles. Une bonne et meilleure connaissance de l’Autre, ne
peut que nous aider à approfondir davantage, l’étude de notre propre histoire et d’accéder par la même occasion, à
une meilleure intelligence de nous-mêmes.
C'est
sur cette ambiguïté ou sur cette équivocité que s'est construit le discours
officiel nationaliste. Les Maghrébins ne sont pas uniquement arabes mais
ne savent pas vraiment, définir "l'autre chose" qui les constitue. Pour
les défenseurs d’une identité arabo-musulmane, la centralité ne suffit pas,
c'est l'exclusivité qui est exigée. Il s'agit de fondre le Maghreb dans
l'espace de la nation arabe et de gommer toute référence susceptible de
l’éloigner de cette conception.
La
référence à la Méditerranée, dans le discours officiel en arabe, a été
quasi-inexistante, de même d'ailleurs, que l'appartenance du Maghreb à la francophonie.
Les nouveaux Etats-nationaux du Maghreb ont constamment entretenu un rapport
ambigu à la berbérité. Les discours officiels ont toujours, tenu à affirmer
l’autochtonie de la population juive, mais, dans les faits, rien n'a été fait
pour les persuader de ne pas partir. Cette duplicité est due à une série de
facteurs qui se sont conjugués pour occulter une telle autochtonie, qui n’est
signalée dans aucun manuel d'histoire. Ceci étant dit, il n’est pas superflu cependant
de remarquer que la question de la multiplicité des appartenances n'est pas pour
autant un taboue dans tous les pays du Maghreb, bien au contraire, elle connaît
même depuis quelques années, un regain d’intérêt. Comme si, face au projet
politico-idéologique islamiste, d'exclusion de toute pluralité, la mise en
avant du multiple constituait une ligne de défense contre la construction d'une
identité nouvelle dans laquelle le réel ne pourrait se reconnaître.