vendredi 29 juin 2012

La Tunisie post-révolutionnaire : Société civile et activisme politique



Il n’est pas facile pour les tunisiens que nous sommes et après le bouleversement radical des normes régissant la vie politique, faisant suite à une révolution dont l’objectif fut de recouvrir la dignité, de formuler avec force précision les spécificités du paysage politique dans lequel nous vivons. Plus d’une année nous sépare aujourd’hui de cet événement dont l’une des conséquences, croyons-nous, fut le clivage de la société, et au-delà de la mosaïque politique enregistrée au cour des premiers mois, en deux mouvances distinctes inscrites l’une et l’autre dans le paysage social et culturel tunisien et défendant depuis le siècle dernier deux modèles de société : l’un trouvant refuge dans une occidentalisation émancipatrice, l’autre fait de l’ancrage arabo-musulman de la Tunisie son cheval de bataille. D’aucuns savent l’importance que requière la reformulation permanente des deux notions de modernité et de tradition dans l’héritage culturel et politique tunisien, même si cet héritage est en phase de vivre en ce moment une situation sans précédant débordant sur l’étroitesse du contexte local, pour prendre au pays tout entier un rendez-vous avec l’histoire. Sommes-nous devant un nouveau palier caractérisé par une revendication politique hissant la liberté citoyenne au rang d’une valeur phare? Aussi ambitieux qu’il puisse nous paraître, un tel idéal n’a pas cessé de remodeler les mentalités collectives tunisiennes depuis l’apparition de la première constitution au cours de la deuxième moitié du XIX e siècle jusqu'à la promulgation de la constitution de 1959 faisant suite à la décolonisation puis à l’instauration de la première république. Et si ce que nous sommes entrain de vivre aujourd’hui s’inscrit lui aussi dans la même perspective, compte tenu de la primauté de la rédaction d’une nouvelle constitution dans le processus de transition, il n’en demeure pas moins que la nouvelle conjoncture politique exige un rééquilibrage des pratiques politiques permettant l’ouverture sur un autre modèle de penser, réfutant toutes formes de légitimité politique en dehors du respect des lois garantissant les libertés individuelles. Cependant, et si la scène politique tunisienne ne recèle aujourd’hui d’aucune figure politique de prou, compte tenu du nivellement par le bas qu’elle n’a pas cessé de subir depuis les années soixante, il n’est nullement non advenue d’émettre des doutes quant à une prise en charge de ces pratiques ou à leurs ancrage définitif dans le paysage politique tunisien. Cependant de telles suspicions ne peuvent résister devant le bouleversement engendré par le fait révolutionnaire et toutes les réactions régionales et internationales qu’il a pu susciter. Si nous sommes sûrs d’une chose, c’est de la présence d’un sentiment de phobie collective exprimant une profonde rupture avec les velléités despotiques de l’Etat, et de sa propension démesurée à priver les gouvernés de jouir pleinement de leurs libertés individuelles. Une telle réaction citoyenne, restée au demeurant et pour très longtemps dans le giron exclusif des sociétés occidentales, s’est vue subitement essaimer vers d’autres latitudes pour y être revendiquer par des populations dont les organismes de l’Etat ont historiquement fait corps avec un autoritarisme suranné, ou le recours à la force a constamment représenté la seule alternative pour se hisser au devant de la scène politique. C’est peut-être pour cette raison que nous trouvons actuellement beaucoup de difficultés à redéfinir avec exactitude le sens que requière la légitimité politique dans l’espace culturel musulman. Cette situation rejoint dans un sens, et si nous réfléchissons bien, le contexte des sociétés européennes rompant au XVIII e siècle avec l’absolutisme, ou faisant front tout au long de la deuxième moitié du siècle dernier contre le totalitarisme de gauche comme de droite.
 Le territoire tunisien, qui n’a pas posé depuis ses premières représentations cartographique en 1857 de problème particulier, a constamment représenté un élément fondamental dans le processus d’authentification d’une identité nationale propre aux tunisiens. L’exploration d’une telle identité, nous révèle des spécificités physiques et un héritage humain portant sur une histoire du peuplement révélant la succession de différentes ethnies et de multiples civilisations, dont les acquis culturels matériels et immatériels ont impliqués des perceptions et une vision particulière du monde. L’imbrication entre ces éléments a joué pleinement dans la reformulation du lègue transmit de génération en génération durant la période islamique comme au cours de celle qui l’a devancé. De telles spécificités muettes en surface, ont toujours joué un rôle déterminant dans les perceptions touchant aux binômes tradition/modernité, conservatisme/progrès. Tout le débat autour des questions traitant de l’émancipation individuelle, comme du conflit entre générations ou de l’évolution des formes d’organisation sociétale, ne peuvent faire l’économie d’une investigation mettant à nu les paramètres qui militent en faveur d’un prompt arrimage des valeurs universelles avec les acquis de la culture tunisienne imprégnée de valeurs arabo-musulmanes.
Le brassage ethnique, source de la créolité ou de l’identité rhizome de la Tunisie, prouve l’existence d’un antagonisme entre deux façons de voir à l’antipode l’une par rapport à l’autre, que ce soit en ce qui concerne la vie quotidienne ou pour ce qui se rapporte au modèle de société à bâtir. Alors que les uns paressent s’attacher au passé pour lui vouer une sacralité sans bord, d’autres préfèrent n’accorder à cela que peu d’importance, même si une telle façon de voir leur coûte parfois d’être pris pour des aliénés ou de mécréants. Rares sont les domaines d’action qui n’ont pas été profondément touchés par des perceptions ou des façons de voir aussi antagonistes. Les berbères se divisèrent longtemps entre sédentaires Baranis et nomade Butr. L’école chrétienne d’Afrique s’est alignée au catholicisme dans sa lutte contre les donatistes. Les sunnites s’opposèrent farouchement aux kharijites et résistèrent aux fatimides ainsi qu’à leurs gouverneurs zirides. L’orthodoxie malékite s’est vue piéger des siècles durant par des tactiques de subversion imposées par une religiosité populaire influencée par le confrérisme. La régression progressive des razzias concomitantes à la sédentarisation des tribus arabes au alentour du XIII e siècle, ouvra la porte à un Etat itinérant appelé, depuis l’avènement des Almohades, Makhzen. Le pouvoir politique ayant progressivement pris conscience de sa suprématie militaire sur les « hordes tribales » s’orienta visiblement vers une forme de gouvernement basée sur la majesté ou Jah, inversion littérale du terme Wajh, définit selon l’auteur de la Mouqadima par : « la capacité à diriger ceux qui subissent notre autorité, et leur soumission à nos discisions qui les privent, en usant de la force, de leurs droits. » L’exercice d’un tel pouvoir « donne à celui qui le détienne une sensation de majesté ; et pousse le commun des gens à croire que seuls ceux qui réussissent à se rapprocher du pouvoir peuvent mener une existence digne et amasser une grande fortune. Alors que ceux qui sont boudés, se verront au contraire, astreint à vivre dans l’indigence et la pauvreté. Même s’ils disposent de moyen suffisant pour couvrir leurs besoins, fortunés ils ne le seront jamais et passeront toute leur vie dans une situation modique ».
 Une telle acception, offrant une vision complètement démesurée du pouvoir politique, explique la focalisation pathologique des maghrébins de naguère et d’aujourd’hui aussi sur la sphère politique ; et la persistance de fausses idées impliquant que le rapprochement de ceux qui détiennent le pouvoir augurerait d’une vie paisible et ouvrerait les portes de la fortune. Observant la situation de faiblesse des arabes et constatons l’effritement de leurs forces au XIV e siècle, l’auteur des prolégomènes ou Muqaddima était certain que le progrès leur a définitivement tourné le dos. C’est cette constatation qui l’a poussé croyons-nous à chercher à identifier les causes d’un tel revirement de la situation. Ibn Khaldoun va établir une synthèse des faits historiques avérés, pour en tirer par la suite les lois servants à mieux comprendre l’organisation de la vie sociale. Ces lois étaient à chercher dans les mécanismes régissant les généalogies, dans le changement intervenu sur les modes de vie et dans les formes de succession au pouvoir et la façon dont le jah ou majesté est exercée.
La détention du pouvoir fut pour lui le moteur de toute cette dynamique. C’est lui qui détermine la façon dont les différentes ethnies se sont transmis la force. Ce pouvoir ne peut ostensiblement se prévaloir en dehors d’une solidarité tribale ou ‘Asabiya , orientée vers la conquête et l’abandon des modes de vie tribale au profit d’ activités plus complexes, traduisant une appropriation du mode de vie sédentaire. Les chroniques de Ben Dhiaf rédigées au XIX e siècle, portent une empreinte ostensible des idées formulées par l’auteur de la Mouqaddima écrite cinq siècles auparavant. En effet « les vents de la patrie ou riyâh al-watan», soufflant sur le pays des tunisiens, ardh tounis, était à l’origine de la décision qu’il a prise, juste après avoir contribué à la rédaction de la constitution de 1861, de lui consacrer des chroniques rassemblant des jalons inconnus de son histoire. C’est pour lui la meilleure façon de mettre fin au tissu de mensonges colportés par les plumes stipendiées, fustigeant la modernisation des institutions politiques entamée en Tunisie depuis le début du XVIII e siècle.
 Réformateur invétéré, Ben Dhaif ne croit pas au changement radical faisant table rase avec les pratiques d’antan. Son réalisme d’ancien commis et de fin connaisseur de l’Etat beylical, l’avait poussé à faire prévaloir l’idée d’une progression dans l’application du régime politique constitutionnel, donnant aux gouvernés la liberté de formuler leurs propres conceptions quant à la meilleure façon de gérer les affaires de l’Etat. L’expression légale de l’opposition à travers la représentativité politique dans des structures élues, requière de son point de vue une importance capitale. En accordant peu d’intérêt à ce genre de pratiques, les musulmans ont commis un grand tort. « Le despotisme étant contradictoire aux préceptes indiqués par la loi musulmane. C’est lui qui est à l’origine du retour à l’anarchie et aux modes de vie primitifs, ôtant aux gouvernés les privilèges caractérisant le vivre ensemble ; et ne leur permettant guère de préserver les vertus de la citoyenneté (sic). » Et même si le sens que requière le terme watan comparé à celui de « Nation » ou omma n’a recouvert dans la littérature politique musulmane que le simple lieu où l’on est né, et que le mot thawra ou révolution n’a pu couvrir lui aussi que le sens négatif et réducteur de sédition et ce probablement à cause des troubles qui ont accompagnés la révolution française, il n’en demeure pas moins que la volonté d’engager des réformes a ordonné les perceptions des élites, qui préférèrent et de loin le changement pacifique aux autres formes de changement. D’autant que de telles perceptions ne se contredissent pas avec leur devoir d’allégeance vis-à-vis du pouvoir et ne mettent pas en péril les privilèges inhérents à leur statut de hauts commis de l’Etat. De ces idées, il est facile de s’en rendre compte en mettant à profit les écrits qui nous ont été laissés par les penseurs les plus en vue de l’Orient comme de l’Occident musulman, surtout ceux qui vécurent l’expérience de l’écriture comme une « thérapie », les ont aidé à mieux comprendre le sens que requière la modernité européenne. C’est un tel rapport à l’écriture qui les a amenés en effet à se réapproprier – souvent à leur corps défendant- les mécanismes comme un retour émancipateur sur soi. Nous pouvons citer à cet égard « ‘Ajaib al-âthâr » de l’égyptien Abderahman al-Jabarti (1753 -1825) ou « al-Istiqsâ » du marocain Ahmed ibn Khalid an-Nasiri (1835 - 1897).
 L’œuvre écrite par Ben Dhiaf s’intègre parfaitement dans la même dynamique. Dans le préambule introductif ouvrant ses chroniques, l’auteur s’explique sur ses orientations. Il s’est attelé, soit pour la définition ou pour l’explication de sa « typologie des formes de l’exercice du pouvoir dans l’univers », à démontrer la conformité de ce qu’il avait défendu comme changement politique avec les préceptes de la religion musulmane. En précisant néanmoins que la force, source fondamentale de l’exercice du pouvoir, s’exprime dans le vicariat califat ou dans la monarchie moulk. Ce dernier est exercé selon trois formes : « la monarchie absolue al-moulk al-moutlaq, la monarchie républicaine ou al-moulk al-joumhouri (sic), forme de gouvernement, révoquant l’institution royale et dont l’auteur connaissait parfaitement le mode de fonctionnement, mais ne pouvait cautionner la légitimité émancipée de toute autorité, y compris de celle du pouvoir califal inscrite dans la loi musulmane. La troisième forme est la monarchie constitutionnelle ou al-moulk al-mouqayyad bi qânoun dont le détenteur accepte de se soumettre aux préceptes de la religion, aux règlements ordonnés par les traditions et / ou à la juridiction politique en vigueur. « Les mécanismes inhérents au pouvoir despotique s’opposent au changement, ce qui implique, selon les préceptes indiqués par la charia, comme pour ceux approuvés par la raison, le devoir d’exprimer son indignation (sic) ou son refus, en évitant que ceci dégénère vers la légitimation de l’anarchie ou l’acceptation de la violence». Ben Dhiaf insiste sur la différence qui existe entre ce qu’il appelle « la main tendue du pouvoir, qui même si elle déroge à ses responsabilités, ne souffre point d’illégalité ; et le comportement des larbins ou des malfrats qui ne dédaignent pas de faire peur aux gens pour extorquer leurs biens. C’est que l’obligation de se défendre contre ceux qui sont dans le tort est approuvée par la loi, alors que le fait de s’adjuger, sous couvert de l’Etat, le droit de mettre la main sur les biens d’autrui ne peut engendrer, et comme l’avait bien démontré Ibn Khaldoun auparavant, que désespoir, abandon des activités productives et troubler la bonne marche des affaires, enclenchant une grave crise mettant en péril la vivre ensemble. »
 Un comportement caractérisé par autant d’exactions, incite les nomades vivant encore sous la tente à refuser le regroupement et la prise en charge des activités productives comme le défrichement, l’arboriculture l’élargissement des cultures irriguée, et enclenche un dangereux retour à des comportements primitifs dénuer de la moindre civilité. C’est que les abus commis à l’encontre des sujets par les agents de l’Etat ou par ses percepteurs d’impôt représentent à ne point douter « la cause de la perte des vertus ôtant aux contribuables tout élan de dignité traduisant l’attachement au pays et la volonté de le défendre contre toute agression. »
 Si l’auteur de l’Ithaf parait bien comprendre la théorie cyclique de l’évolution des Etats dynastiques basé sur un rapport étroit entre prise du pouvoir politique et solidarité tribale ou ‘asabia ; ainsi que leurs déconfitures concomitantes à l’affaiblissement progressive d’une telle solidarité, il a su exprimer aussi une certaine distance vis-à-vis d’une telle théorie, en affirmant clairement sa caducité en dehors de l’aire culturelle musulmane. « Ni les rois de perse ni les monarques chrétiens, qui ont observé les limites ordonnées par la raison et se sont tenus à l’application de la loi, n’ont vu le pouvoir sortir du giron leur dynastie. » Ce qui prouve que sa critique du pouvoir politique ne s’est pas contentée de reproduire la théorie Khaldounien, mais qu’il a essayé de se prononcer sur sa validité, en la corroborant aux nouvelles idées de la modernité. Une telle vision des choses allait libérer le pouvoir d’une perception passéiste qui a toujours légitimé le rôle déterminant des préceptes de la religion dans la gestion des affaires publiques. Qui d’autre que lui pouvait affirmer en substance que : « La persistance de l’iniquité ne peut que rendre caduque la légitimité du pouvoir monarchique. » Quant aux constitutions, elles tirent leurs importances respectives de ce qu’elles peuvent offrir comme réformes permettant de mieux organiser la vie publique.
C’est sur une telle vision des choses, que d’autres intellectuels ou réformateurs comme Tahtawi et Khaireddine qui ont séjourné en Occident et témoigner du degré de son évolution, ont insisté. Tous paressent approuver la nécessité de légiférer dans un sens qui permet la réalisation de la justice, comme c’est le cas des pays civilisés ou l’on accorde une grande importance à la loyauté ouvrant les portes de l’espoir et permettant aux gens de vivre en paix, et de s’occuper de leurs travaux sources de leur richesse et de leur épanouissement. Pour l’auteur d’al-Ithaf, une nouvelle condition ordonne désormais la légitimité de toute action politique : c’est la constitution d’une assemblée représentative dont les membres, élus au suffrage universelle, sont appelés à « représenter le commun des gens et à préserver, en usant de tous les moyens pacifiques et légaux, leur droit de vivre dignement comme des êtres humains ». Les prérogatives tenues par les élus, en vertu de leur mandat, leur octroient le droit de soumettre le pouvoir exécutif, représenté par les ministres et les hauts commis de l’Etat à interrogation. C’est que les royaumes « ne peuvent persévérer dans le bon chemin, que lorsque l’Etat est à la fois demandeur et demandé. L’Etat dont l’exercice du pouvoir est soumis à la loi est parfaitement en mesure de demander ce qui lui revient de droit, à condition d’accepter de soumettre sa gestion des affaires au contrôle du pouvoir législatif selon les modalités annoncées par les articles de loi arrêtés par la constitution ».
 Le tiraillement de la société tunisienne entre un attachement farouche aux traditions et un manifeste engouement pour la modernisation, accordant dès la fin la première moitié du XIX e siècle aux institutions de transmission du savoir habilitées à former les nouvelles élites un rôle majeur dans l’émancipation sociale et politique, ordonna une infiltration du système éducatif zitounien influencé par les nouvelles idées défendues par les élèves de l’école polytechnique du Bardo, du collège Sadiki, de la Khaldouniya (criée en 1896) et de l’Association des Anciens Elèves du Collège Sadiki (criée en 1906). Alors que les nouveaux bacheliers tunisiens du lycée Carnot partaient en France pour compléter leur formation dans les universités métropolitaines.
 Bientôt cette lutte entre anciens et nouveaux allait essaimer vers la sphère politique, surtout lorsque le parti destourien consuma sa session en 1934 en se scindant en deux formations politiques, dont tous concourait à différencier dans la pensée comme dans les modalités d’action. En effet le Néo-Destour va progressivement réussir à noyauter, voir même à embrigader, toutes les forces vives d’une Nation en devenir. Partis politiques, organisations syndicales, associations et mouvements féministes et culturels, eurent beaucoup de mal à sortir de son influence des décennies durant. Une lecture attentive des trajectoires de vie des différents acteurs politiques syndicaux et estudiantins, comme de celles des leaders du scoutisme ou des agitateurs de la scène culturelle durant l’époque de la lutte contre le protectorat français ou au cours des années indépendance, prouve cette hégémonie usant du l’héritage militant pour investir l’Etat et s’emparer du pouvoir, sans se soucier de rendre compte du bilan désastreux de sa politique, et sans ouvrir la moindre brèche permettant d’engager une vraie alternance politique.
L’avènement de la révolution et son intériorisation dans la mémoire collective comme un moment de rupture dans l’histoire du temps présent de la Tunisie, n’a été réellement perçu qu’après avoir mis fin aux multiples tergiversations poussant les indignées de la Kasba à démentir les différents scénarii de récupération échafauder par l’ancien establishment. C’est cette ferme attitude montrée de la part des différentes composantes de la société tunisienne qui a véritablement poussé les décideurs politiques à effectuer un curieux retour sur la première génération des commis de l’Etat bourguibien ; et ce en faisant appel à une figure de prou capable de tenir la barre sans grands remous et d’établir une carte de route permettant de renouer, à travers l’élection d’une assemblée constituante, avec la légitimité politique. Cette orientation dénotant sans grand ombrage d’un pragmatisme politique de haute facture, eux égards aux tiraillements silencieux qui l’ont rendue possible, élucide l’importance du symbolique dans la récupération de la légitimité politique. Le retour du politique après des décennies d’ostracisme, a permis aux tunisiens de juger de la nécessité de réhabiliter de telles pratiques, en faisant table rase avec une dictature policière refusant tout renouvellement des élites du pouvoir, en dehors d’une brèche de fortune ouverte exclusivement devant ses piètres serviteurs.
 Ce retour inopiné du politique au devant de la scène, se donne à voir à travers une mémorisation de l’action consignée par écrit depuis peu. Une telle mémoire aussitôt reformulée à travers un discours oral bien rodé usant à merveille de la sagesse populaire traditionnelle et intériorisant parfaitement l’héritage réformateur tunisien, a eu, et comme on l’avait souhaité, l’effet détonnant d’un discours taillé sur mesure, ouvrant les yeux de ceux qui faisaient sa découverte sur l’importance de la culture politique et surtout sur son rôle dans la gestion des affaires publiques. La suite nous la connaissons, c’est le rétablissement de la situation comme si de l’anarchie des premiers mois de la révolution pouvait naître, et comme par enchantement, un nouveau consensus, que les appels réitérés au retour à l’ordre, le flux des investissements et la diversification des plans de réajustement économique, ont lamentablement échoués à réaliser.
 Pour annoncer son retour la mémoire de la pratique politique a procédé selon un balisage, mettant à profit un certain nombre de hauts faits traduisant le registre des valeurs propre aux tunisiens. En fait, la somme des métaphores ordonnant la traçabilité d’un tel bricolage littéraire, parait opter pour des références glanées aussi bien dans les versets coraniques que dans les valeurs de la culture universelle et de l’expérience du vécu personnel ou collectif des tunisiens. L’objectif étant d’effectuer un repositionnement capable d’offrir aux individus l’occasion de reformuler leur conception de l’action politique. Sommes-nous donc devant le retour du politique dans sa dimension nationale, ou les valeurs ne sont sollicitées que pour défendre une acception large et souvent bien creuse de la Nation ? Ou assistons-nous au contraire une reformulation du pragmatisme bourguibien réussissant, quoiqu’ont disent ses détracteurs, à faire école ; en insistant sur l’émancipation de la pratique politique appelée à s’ouvrir à la critique pour éviter de retomber dans des inerties consensuelles ouvrant la porte devant les apprentis sorciers prétendant représenter l’opinion silencieuse à son insu ?
 Une chose est sure en tous cas, c’est le tiraillement entre anciennes et nouvelles pratiques, surtout après la réalisation de la première étape de la transition démocratique mêlée à « l’ivresse » de la récupération d’une liberté chèrement acquise. Les résultats des premières élections démocratiques tunisiennes ont propulsé des nouvelles élites dans l’exercice du pouvoir politique comme dans l’opposition. Mais l’individu reste au cœur du débat public, même si le retour progressif à la normale pose et subrepticement le problème des limites des avantages du moment révolutionnaire lui même.
 Durant les premières années de l’indépendance et jusqu'à la fin de l’ère bourguibienne, les acquis politiques aussi importants qu’ils puissent nous paraître, n’ont pas dépassés, et du point de vue de l’expression des valeurs des libertés individuelles, le stade du balbutiement. Aussi bien dans le discours politique que dans la littérature savante on a plutôt préféré insister sur la pérennité d’un Etat centralisé et critiquer la vision étriquée du colonialisme taxant les sociétés maghrébines de tribalisme et d’archaïsme. Ce qui a fini par donner à la pratique politique une orientation plutôt étatiste, même si le consensus qui s’est fait autour de cette orientation n’a pas débordé sur les normes régissant les relations entre intellectuels et hommes politiques telles que formulées par la sociologie politique.
 La polarisation de la scène politique entre acteurs de la société civile représentés par les militants des mouvements estudiantin, syndical et civique (Ligue des droits de l’homme et militants féministes) d’une part ; et un pouvoir politique entaché d’infamie, s’enlisant progressivement dans la dictature, condamna la vie politique à l’étouffement. Durant toute cette période la société civile allait tenter de palier aux avatars de l’organisation politique, même si une grande partie de ses militants avaient tenu à prendre leur distante, en refusant de se mêler à une politique officielle populiste basée sur un nivellement par le bas. Mais Un telle attitude ne comportait-elle pas aussi suffisamment de neutralité positive voir même une complicité avec les options ostensiblement sécuritaires du pouvoir en place, sachant que celui qui ne dit mot consent!?
 Le discours politique officiel des années dictatures, au-delà de se qu’il avait charrié comme langue de bois, resta lui fidèle à une logomachie mensongère prônant l’ouverture sur l’autre, la défense des libertés citoyennes et des droits de l’homme, le respect des institutions et l’universalité des valeurs. Et même si tous ceux qui ont pu le soutenir par opportunisme ou par conviction, avaient une idée précise sur la distance qui le séparait dans la pensée comme dans la pratique de « l’indigénisation » des ces valeurs, ils s’obstinèrent majoritairement à opposer un refus catégorique à toute dynamique de renouvellement de la classe politique, et se contentèrent de reproduire les stratégies surannées de makhzénisation, en usant d’un opportunisme béant permettant au pouvoir de croire à l’illusion d’être constamment capable, non seulement d’inféoder la société mais de la mettre au pas. En l’absence d’une dynamique traduisant une possibilité réelle de repenser le discours politique, les tenants et les aboutissants d’une telle situation nous paressent aujourd’hui, très difficile à déchiffrer.
En attendant, le paysage politique qui est le nôtre continuera, eu égard aux balbutiements d’une démocratie en devenir, à reproduire les mêmes réflexes stigmatisant l’opposition et réduisant son discours à un tissu de mensonges fait de surenchère, de traîtrise et de blasphème. Le consensuel étant l’objectif optimal de toute pratique politique, les nouvelles élites toutes obédiences confondues, ne nous paressent pas capable de mettre au point une vraie carte de route impliquant une réelle progression vers une perception démocratique, ordonnant une moralisation de la vie politique et la mise en place de mécanismes traduisant une prise en charge du conflictuel dans la recherche des solutions consensuelles.
 Tant que la politique restera un lieu d’apprentissage dont la finalité est d’optimiser les chances du vivre ensemble, il serait vain de croire que cet apprentissage peut se prévaloir d’aucune efficience en dehors de la présence d’un dispositif légal permettant de soumettre la gestion des affaires publiques à interrogation. C’est cela qui fait cruellement défaut dans la pratique politique des nouveaux décideurs fraîchement débarqués au pouvoir, prétendant disposer de suffisamment de latitude et de moyens aussi pour pouvoir agir positivement sur la réalité confuse de la Tunisie post-révolutionnaire.
 Et comme la pratique politique est une affaire d’anticipation sur les peurs provoquées par les difficultés du contexte mouvementé crée par la période de transition, elle ne peut se concevoir en dehors d’une intériorisation des fragilités inhérentes à un tel moment historique. N’est pas homme politique celui qui le veut, seuls ceux dont la pédagogie est en mesure de gérer les angoisses collectives, sont en mesure de trouver les mots justes, exprimant l’aspect inédit de la situation et engageant le débat dans un sens qui favorise le consensuel s’accordant parfaitement avec le conflictuel dont la reconnaissance ne devrait souffrir d’aucune remise en question. C’est sommes toute l’art du possible défiant la contestation et jouant son rôle régulateur anticipant sur les peurs et évitant tout débordement reflétant une image grossière et étriqué du réel.
 Ainsi le consensus, résultant d’un débat libre et constructif entre différents acteurs appartenant à la société politique et civile et respectant le droit au conflit pacifique des idées et des intérêts, est la seule solution viable, permettant la régulation du tiraillement entre différents intervenants exerçant pleinement leur devoir de citoyen. C’est aussi la seule voie possible ouverte devant une pluralité politique respectant le jeu démocratique et insufflant une dynamique de liberté, respectant le droit à la différence et ne lui faisant point obstruction.


lundi 25 juin 2012

الإسلاميون في تونس مقاربة سياقية



دخل المجتمع التونسي الذي عاش إرهاصات مرحلة ما بعد الاستقلال في أزمة عميقة في نهاية الستينات، وهي أزمة طالت المجتمع كما الذهنيات بالتزامن مع التحوّلات التي عاينتها الدواخل في العمق وأدت إلى الدخول في منعرج حاسم أشر عليه احتداد الصراع بين الداعين من موقع الاتباعية إلى ضرورة تبني الحداثة الغربية قصد اللحاق بالدول المتقدمة وبين المدافعين من موقع المحافظة على الموروث الثقافي العربي الإسلامي وقوامه التمسك بآراء السلف.
على أن احتداد الفوارق الاجتماعية هو ما عمق الاصطفاف، موسعا عملية الاستقطاب وفي صفوف  الشباب الجامعي خاصة بين التوجهات اليسارية التي قابلتها دعوة إلى العودة إلى الإسلام في مدلوله الكلي والشمولي.
فما هي الظروف التي حفّت ببروز القائمين على الاختيارات السياسية المطبوعة بتوجهات احتجاجية إسلاموية تونسيا؟ وما طبيعة الخلافات الفكرية التي شقتها خلال مرحلة النزال مع الطبقة السياسية الدستورية المهيمنة؟ وكيف يقدم الإسلاميون النهضويون أنفسهم بعد تحولات ثورة الرابع عشر من جانفي ووصولهم إلى السلطة عبر شرعية الاقتراع؟

مرحلة التأسيس: 

تعود الهبة الأولى لهذه التوجهات إلى الأحداث التي جدت بمدينة القيروان في 17 جانفي 1961 والتي تزعمها إمام جامع عقبة عبد الرحمان خليف. غير أن الحركة الإسلامية لم تتشكل في تونس إلا في حدود سنة 1970 وذلك بالتزامن مع تأسيس المجلة الإسلامية الشهرية "المعرفة". وكانت النواة الأولى لهذا التنظيم متأثرة بالأدبيات الإخوانية التي صاغها كل من حسن البنا وسيد قطب وأبو الأعلى المودودي، مع انضباط في العمل الجماعي واحترام لفقه الدعوة ومبايعة للأكبر سنا.
وجدت هذه المجموعة دعما صريحا من الشيخ محمد صالح النيفر وصاحب مجلة المعرفة ومموّلها الشيخ الزيتوني عبد القادر سلامة. وفي مقابل هذا التيار الذي قرّبت آرائه إلى واسع القراء والمطلعين مجلة المعرفة، تشكّلت حلقات دروس بجامع الزيتونة أدارها الشيخ أحمد بن ميلاد والشيخ الخياري وبرز ضمن حلقة الشيخ بن ميلاد الناشط الإسلامي عبد الفتاح مورو الذي سرعان ما استقل بحلقته الخاصة بحامع حمودة باشا ثم بجامع سيدي يوسف، موجّها المنتسبين إلى حلقته توجيها تبليغيا يدعو الناس إلى أداء الفروض وتصحيح الإيمان.
وجد كلا الفريقين (نواة المعرفة وحلقات الجوامع قبولا واسعا لدى شق من أبناء الملاكين والبرجوازية التقليدية والتجار الذين تأثروا سلبيا بسلبيات التجربة الاشتراكية التعاضدية. كما دعّمت الحراك جمعية المحافظة على القرآن الكريم التي تكونت سنة 1969 بمبادرة من الشيخ الحبيب المستاوي الذي كانت له حلقة خاصة بجامع الزيتونة، والذي بعث من جانبه مجلة "جوهر الإسلام" قبل ذلك بسنة واحدة. كان المستاوي يوسفيا إلا أنه سرعان ما عاد إلى حضيرة الحزب الدستوري، مقتنعا بعد أن تم انتخابه عضو بلجنته المركزية بإمكانية تغييره من الداخل.
سجّلت نفس السنة عودة الشيخ راشد الغنوشي إلى تونس الذي لعب دورا أساسيا في تطوير الفكر النظري لما عرف لاحقا بالاتجاه الإسلامي. وهو من مواليد 1941 بحامة قابس درس بالزيتونة والخلدونية وحصل على درجة التحصيل سنة 1962 التحق بالقاهرة سنة 1963 ثم بدمشق في بداية سنة 1965 حيث حصل سنة 1968 من جامعتها على الأستاذية في الفلسفة. انتقل إلى باريس لاستكمال دراساته العليا، غير أنه اضطر إلى الانقطاع عائدا إلى تونس لينتدب أستاذا بالمعاهد الثانوية لتدريس مادة الفلسفة.
انخرط الغنوشي أيام التحصيل في باريس في جماعة التبليغ ومارس الدعوة بمسجد Belle-Ville وفقا للنظريات الإخوانية وكتابات المودودي وتوجهات مالك بن نبي، فضلا عن رصيده المعرفي في علوم التربية والنظريات الفلسفية. كوّن الغنوشي مع حلول سنة 1970 حلقة خاصة به في تونس في جامع سيدي يوسف وذلك بتشجيع من عبد الفتاح مورو وحميدة النيفر وصلاح الدين الجورشي. وضمت تلك الحلقة قرابة الثلاثين شابا من طلبته في صف الباكالوريا بمعهد ابن شرف. وهي النواة التي اضطلعت بعد ذلك بنشر الأفكار الإسلامية بالجامعة التونسية.  
خاضت المجموعة معركة تأسيس الجوامع بالمؤسسات العلمية (معهد بورقيبة للغات الحيّة) والمبيتات الجامعية (مبيت رأس الطابية) واحتواء جانب من الطلبة الريفيين الذين عانوا من الاغتراب وضعف حسّ التراحم والتعاون داخل المجال الحضري لمدينة تونس، لذلك تم التركيز منذ الانطلاق على أن مشروع الإصلاح المجتمعي الإسلامي لا يمكن أن يتم خارج العمل الجماعي تطابقا مع دور مؤسسات الدولة التي تعمل على نشر أنموذجها الموسوم بالعلمانية.
وبالجملة يمكن القول أن الحركة الإسلامية في تونس كانت ملتقى لتيار واسع شكل راشد الغنوشي بأفكاره الإخوانية (سيد قطب) والسلفية (ناصر الدين الألباني الذي تتلمذ في حلقته) والتأملية (مالك بن نبي) معينه الفكري، بينما عاضده الشيخ عبد الفتاح مورو المتشبّع بأفكار أحمد بن ميلاد الزتونية والصوفية والتحق بهما وبحماعتهما صالح كركر المختص في الدراسات الاقتصادية الذي كان له دورا محوريا في تطوير العمل داخل المؤسسات الجامعية والشبيبة الطلابية. 
ويمكن القول أن العلاقة بشيوخ الزيتونة "النيفر وسلامة وابن ميلاد" قد مثلت تفاعلا مع تراث التدين التونسي، مُطعّمة التوجهات الإخوانية الوافدة من المشرق. لذلك كانت الملامح الأولى للتفكير لدى الإسلاميين أخلاقوية إلى درجة التبسيط وغارقة في الماضوية واللاتاريخية، مبتورة الصلة بالواقعين الشعبي والسياسي.
تتألف الظاهرة الإسلامية التونسية من العناصر التالية:
-    التدين التقليدي التونسي المنتسب إلى المذهب المالكي والعقائد الأشعرية والتربية الصوفية.
-    الخطاب السلفي الإخواني القادم من المشرق
-    التيار الإسلامي العقلاني المستند إلى التراث الإسلامي ونقد التوحهات الاخوانية باعتبارها سلفية وإعادة الاعتبار للغرب العقلاني وللمدرسة الإصلاحية التونسية (خير الدين والحداد) ومنجزاتها الحديثة من خلال حركة الإصلاح التي أنجزتها الدولة الوطنية على أيام بورقيبة، كنشر التعليم وتحرير المرأة والدفاع على الدولة الوطنية والمدنية. وينطلق الخطاب الإيديولوجي للحركة الإسلامية من واقع التخلّف لينفي أن يكون للإسلام ضلع فيه، فالمسؤولية تعود بالأساس على فكر الانحطاط وغزو الاستعمار.
استشعرت الدولة والحزب الدستوري إمكانية توظيف الحركة الإسلامية الدعوية في مواجهة التيار الديمقراطي وفصائل اليسار بالجامعة فوفر لنشاطها بالجامعة الحماية منذ سنة 1975 حتى تمكنت من اختراق فصائل اليسار وساهمت بجلاء في تفكيكها، وهو ما فشلت هياكل الدولة في الوصول إليه سواء باستعمال وسائل القمع أو أساليب الاحتواء. فقد حصلت اتصالات بين الطرفين الدستوري والإسلامي بغرض التنسيق لهكذا خطة شملت بالأساس عبد الفتاح مورو الذي اعترف خلال محاكمات 1981 باتسام العلاقات بين الطرفين حتى سنة 1979 بالدفء والانسجام.
وما إن حلت ثمانيات القرن الماضي حتى حقّقت الحركة الإسلامية بتونس انتشارا واسعا بدأ باختراق الجامعة أولا ثم انتقل بدرجة أقل إلى أوساط الفئات الحديثة العهد بالتمدن خاصة بعد تراجع الإيديولجيات التي احتلت حقل الرفض والاحتجاج في الجامعة (اليسار الماركسي والقوميين)
ويفسر أولوفي روا Olivier Roy ضمن مؤلفه "تجربة الإسلام السياسي" نجاح هذا المسعى داخل مجتمعات مفككة البني إلى عدم تركيزه على العودة إلى الماضي، بل على الاستيلاء على الحداثة وتملّكها داخل الهوية المستعادة. فالإسلاميون يدعون إلى التنمية الصناعية والعمران المدني ومحو الأمية وتحصيل العلوم حاثين جميع المقهورين والمستضعفين على بلوغ مستوى رفيع من التنمية مع القدرة على دخول عالم الاستهلاك الذي لطالما تم استبعادهم منه. وإذا عنّ لنا اختصار مدلول "الإسلاموية التونسية" في جملة فإنه يصدق اعتبارها دعوة إلى تجديد الشريعة زائد الكهرباء L’Islamisme c’est la charia plus l’électricité .
 
احتداد الخلاقات الفكرية وظهور الإسلاميين التقدميين:

عاينت الساحة الاجتماعية والسياسية التونسية احتداد التناقضات داخل مختلف العائلات الفكرية السياسية بما في ذلك الدستورية ذاتها، ولم يعد بإمكان الإسلاميين بعد انتفاضة 26 جانفي 1978 أن يضلوا موحّدين حول شعار العودة إلى مجتمع السلف الصالح.
فقد لعب اتحاد الشغل دور الحاضنة السياسية للمعارضات اليسارية والقومية، وأبّعدت الأحداث العسكرية بقفصة سنة 1980 الوزير الأول الهادي نويرة عن السلطة، بينما واجه خلفه على رأس نفس المنصب محمد مزالي صعوبات سياسية واقتصادية واجتماعية جمّة (تراجع نسب النمو، بقاء القيادة الشرعية للإتحاد بالسجن، ومحاكمة حركة الاتجاه الإسلامي في شهر جويلية من سنة 1981 ).
حدّدت الحركة ضمن مجلتي "المجمتع" و"الحبيب" توجهاتها المستقبلية معتبرة أن الشكل السياسي- الديني  قد أضحى محدّدا لمختلف أوجه الصراع ضد القوى اليسارية الشيوعية والقومية والديمقراطية اعتبارا للدور القيادي الذي تلعبه في النضال النقابي والديمقراطي، وهو صراع على السلطة وفي الوقت نفسه من أجل تأسيس نمط من الدولة الدينية اعتبارا إلى أن الدين من منظور الحركات الإسلامية الأصولية هو الذي يحكم منطق التاريخ ويحركّه.
بدأت القطيعة في غضون سنة 1977 بين حميدة النيفر رئيس تحرير مجلة "المعرفة" والجماعة الإسلامية على خلفية رفضها نشر مقاله الداعي إلى تلافي الوقوع تونسيا في ما اقترفه الإخوان في مصر بعد انحراف سيد قطب على خط العمل العلني للشيخ حسن البنا. لكن الجماعة اعتبرت هذا التوجه مخالف لتوحيد الصفوف ونشرا لغسيل الحركة الداخلي، إلا أن حقيقة الخلاف تكمن في رفض جماعة النيفر الانتماء لأي حركة خارج البلاد للتباين مع الجماعة الإسلامية والدعوة إلى إسلام تاريخي لا فوق تاريخي بمقدوره أن يقطع مع وصاية فكر الإخوان وتجربتهم.
والبيّن بعد تطور الأحداث لاحقا أن جناح المكتب التنفيذي الذي مثله راشد الغنوشي وصالح كركر هو من كان وراء مثل ذلك الموقف الذي سانده بعد ذلك بقية عناصر المكتب على غرار عبد الفتاح مورو والفاضل البلدي.
تركّز نقد الإسلاميين التقدميين للحركة على الطبيعة السلفية لخطابها المتمسّك بالمرجعيات المستوردة (حسن البنا سيد قطب أبو الأعلى المودودي)، واتصال ذلك الفكر تاريخيا بالمدرسة الأشعرية الموصولة بفكر الشيخ ابن تيمية دون إغفال تأثيرات الغزالي والمنهج الحنبلي. لذلك برز تياران متباعدان واحد أصولي قادته أفكار البنا وقطب والمودودي وباقر الصدر والخميني، يعتبر الحركة الإسلامية التونسية امتدادا لتجارب هؤلاء القادة، علما أن الإسلام نافع لكل زمان ومكان وأن المسلمين آثمون ما دامت الدولة الإسلامية لم تتحقق. أما التيار الثاني فيعارض بشدة مسألة تحويل الحركة الإسلامية إلى حزب، مفضلا الاكتفاء بوضعيتها كالتيار ثقافي جماهيري.
ونستشف من خلال وثيقة صدرت عن هذا التيار سنة 1985 تحت عنوان "قراءة من الداخل لواقع العمل الإسلامي" النقد الصريح لفكر الإخوان والمعارضة التامة لتحوّل الحركة الإسلامية في تونس إلى حزب سياسي ذو توجهات احتجاجية إسلاموية بقيادة الشق الداعي إلى تسيس الحركة بزعامة الشيخ راشد الغنوشي. إلا أن هذا الشق المنسلخ عن الحركة ظل أقليا وعاجزا عن تغيير المعادلات خصوصا في فترة مد 1981 بلغت الحركة خلالها ذروتها. 
ويعتبر راشد الغنوشي أن هذا الانشقاق جاء في منعطف نظرا للتطوّر الذي عاينته الحركة الإسلامية في تونس، وأن بعض مركبات الجسم الإسلامي قد ذهبت شظايا من دون أن تتمزق الحركة، حتى وإن فقدت عدد من أهم عناصرها تلك التي لم تبد وفي تقدير الغنوشي الخاص دائما ما يكفي من الجلد والتحمّل والصبر على ضرورات التحوّل. على أن الغنوشي يعترف من جانب آخر أنه قد كان لهذا التحدي مفعولا إيجابيا في تطوير أفكار ومبادئ الإسلاميين، مُسهما في إكساب ذلك الفكر المناعة اللازمة في مقابل ما تعرض إليه من تشنّجات.
بث الإسلاميون التقدميون أفكارهم في بمجلة (15/ 21) التي حصلت على الترخيص في جوان 1982 وصدر عددها الأول في شهر نوفمبر من نفس السنة، حيث بلغت أعدادها حتى سنة 1991 موعد اختفائها 22 عددا، بلور من خلالها هذا التيار بالتفاعل مع العديد من المفكرين والجامعيين المختصين في الشأن الإسلامي على غرار حسن حنفي وهشام جعيط ومحمد أركون وعلى حرب ومحمد عابد الجابري أفكاره الداعية إلى:
- رفض انتزاع السلطة التشريعية من أيدي البشر بدعوى أنها تنبع من الله وحده.
- إذا ما كان الإسلام السماوي أصل والقرآن تعبير عنه، فأن الفكر الإسلامي محاولة لفهم ذلك الأصل القرآني ضمن واقع اجتماعي محدّد يسمح بالحرية المشخّصة، فكل مجتمع لا يمكن أن يكون إلا تاريخيا ومشخّصا. (تأثر بأفكار حسن حنفي والحاج جايت ورؤيته الجمالية).
-  أما الخصائص الإسلامية لكل مجمتع فهي ثلاث:
1 - فهو موضوع سياق وإعداد وتطبيق للقوانين المستلهمة من الشريعة، توافقا مع حاجيات المجتمع.
2 – وهو ذات طبيعة إنسانية بوسع الإنسان فيه أن يتفتح كشخص معنوي
3 – وهو أيضا الطموح الجماعي الذي يحدّد تطور المجتمع
وهكذا فبدلا من تنقية الإسلام من كل ما هو غريب، فإن المطلوب هو توحيد المجتمع مع الشريعة بحيث يكون كلاهما قابلا للتفتح على التطور آخذا في اعتباره حاجيات التنمية متحررا من العناصر الرجعية المنغصة النابعة من الداخل أو من الخارج.

3 – الجماعة الإسلامية من حركة الاتجاه الإسلامي إلى حركة النهضة:
     
     تطورت البنية التنظيمية للحركة الإسلامية التونسية وتشكلت غالبية كوادرها من الوسط الجامعي الذي اتسمت برامجه بطغيان الطابع العلماني أو المدني المفصول عن جميع الحساسيات الدينية، متحدّرا من الفئات الوسطى الحديثة العهد بالتمدّن. لذلك يستقيم الزعم بأن توجهات الحركة لم تعد تستهدف النزعة المدنية التي قادتها الدولة الوطنية بزعامة بورقيبة بقدر ما هي نتاج للتحديث، وخاصة بعد أن أقر الحزب الحاكم  في مؤتمر أفريل 1981 سياسة التفتح والديمقراطية. وهو ما شجع قيادات الإسلاميين على عقد مؤتمر صحفي لعرض مبادئ الحركة المتمثلة في (رفض العلمانية للتمثل الحدي الذي تحمله في أذهان التونسيين كنقيض للدين – ارتباط الحركة بالقضية الإسلامية كونيا – رفض القومية العربية – اعتبار قضية فلسطين ثمرة انحراف حضاري).
تقدمت الحركة بالتوازي بطلب في الحصول على الترخيص في تكوين حزب سياسي قصد مباشرة النضال السياسي العلني. (وضم مكتب الحركة راشد الغنوشي- وعبد الفتاح مورو – وحمادي الجبالي – الحبيب اللوز – الحبيب السوسي). أما الهياكل فقد ضمت (مكتب الدراسات – مكتب المالية – مكتب الدعوة والعمل الاجتماعي – مكتب التربية والتكوين ). وتمثلت أهداف الحركة في (إعادة الحياة للمساجد كمركز للتعبد والتعبئة الجماهيرية – تنشيط الحركة الفكرية والثقافية – دعم التعريب –  رفض العنف كأداة للتغيير – رفض الانفراد بالسلطة – بلورة مفاهيم الإسلام الاجتماعية في صيغ معاصرة – تحرير الضمير الإسلامي إزاء الغرب).
غير أن السلطة لم تقبل بدخول الحركة غمار المنافسة السياسية، متهيّبة من مطالبتها بإجراء استفتاء حول مجلة الأحوال الشخصية، لذلك قررت اعتقال قيادات الحركة الإسلامية في 31 جويلية 1981 تحت غطاء الانتماء إلى جمعية غير مرخص فيها والنيل من كرامة الرئيس ونشر أنباء كاذبة وتوزيع منشورات معادية للسلطة، فضلا عن تهمة الارتباط بجهات أجنبية وتشكيل نظام سري قصد الشروع في القيام بأعمال تخريبية. كما اعتبرت مصالح الدولة أن طلب الحصول على ترخيص باسم حركة الاتجاه الإسلامي غير ذي موجب باعتبار الإسلام قاسما مشتركا بين التونسيين.
جسّم هذا الرفض تحوّل الحركة إلى جهاز معارضة سرية قوي خلال عقد الثمانيات. فقد وضّفت الحركة كل عناصر الاستمالة على غرار الرياضة والكشافة والترفيه والتثقيف، وامتد عملها ليخترق الأجهزة الأمنية والعسكرية وخاصة الأكاديميات.
ولئن تمكنت وساطة رئيس الرابطة التونسية للدفاع عن حقوق الإنسان (حمودة بن سلامة) من نزع فتيل التصادم بين السلطة والحركة بعد الإفراج على أمينها العام عبد الفتاح مورو الذي حكم عليه سنة 1981 بعشر سنوات سجن وقرر بورقيبة في أوت 1984 الإفراج على زعيم الحركة راشد الغنوشي وهو ما اعتبر نجاحا لها واعتراف ضمني بنضالها، فإن الاختلافات قد بقيت حاضرة بين القيادات والشبيبة الطلابية الإسلامية بخصوص الموقف من التعامل مع السلطة القائمة (من الطرح "النفاقي" للشيخ مورو إلى التنازل التكتيكي للشيخ الغنوشي إلى المصارحة بالمواجهة في حق الأوساط الطلابية الإسلامية).        
وانتهت التصدعات برفض مهادنة السلطة وإعادة السيطرة للخط الإخواني ورفض الرسالة الموجهة من قبل مورو إلى الرئيس بورقيبة. وهكذا فُسح المجال لقيادات الصف الثاني ومن أبرزها حمادي الجبالي المهندس المنتمي إلى التكنوقراط الذي عاضده علي العريّض، حتى تتولى تسيير الحركة من صائفة 1981 إلى مؤتمر سليمان السري سنة 1984. شكل حمادي الجبالي ومحمد شمام وهو أستاذ رياضيات الثنائي الأكثر حراك فيما يتصل بالتعبئة واختراق المؤسستين العسكرية والأمنية، في حين أعاد مؤتمر سليمان الذي ترأسه علي العريّض التنظيم إلى يد الشيخ الغنوشي الذي استوفى شروط الإمامة بمعناها الديني، متحوّلا إلى أمير للحركة الإسلامية التونسية. كما نشأت عن هذا المؤتمر لجان مختصة ترأسها أعضاء المكتب التنفيذي على غرار لجان القطاعات النقابية والسياسية والإعلامية، فضلا عن لجان التنظيم الإداري والمالي. وعلى صعيد متصل عاينت الجامعة بروز تنظيم نقابي طلابي إسلامي (الإتحاد العام التونسي للطلبة UGTE ) سنة 1985
أما بالدواخل فقد أشرف العمال على الولايات بالتنسيق المباشر مع القيادة وأحدثت مكاتب محليّة ومجالس استشارية تتولي التكوين السياسي والعقدي للمنخرطين الجدّد وتسهر على تجميع المساهمات المالية التي حُوّل جزء منها للقيادة. ولم يبخل عدد كبير من التجار على الحركة بالمساعدة المالية تحت غطاء إخراج الزكاة، وهو ما يمكن اعتبره تطوّرا مهما في نظام الحركة قياسا للمرحلة التأسيسية.
أما خلال المؤتمر السري لسنة 1986 الذي عقد بصاحية المنزه وترأسه حمادي الجبالي، فقد تمت المصادقة على "الرؤية الفكرية والمنهج الأصولي لحركة الاتجاه الإسلامي" وإقرار الوثيقة التوجيهية المسماة بـ"الاستراتيجيا" المبنية على "البلاغ والبديل والتمكين" مع انتخاب راشد الغنوشي رئيسا للحركة في حين ضم المكتب التنفيذي كل من الجبالي والعريّض وكركر وشمام والبلدي. إلا أن العثور على وثائق الحركة المحظورة قانونيا هو ما زجّ بزعاماتها وعلى رأسها راشد الغنوشي في السجون مع حلول شهر مارس من سنة 1987.
تمثلت أبرز العناصر المميزة لهذا التطوّر الذي عاينته الحركة الإسلامية في تونس بعد انفصال الجماعة الإسلامية عن حركة التبليغ وتحوّلها إلى حركة الاتجاه الإسلامي وابتعاد الشق الإسلامي التقدمي عن الطرح الرسمي، في بناء التنظيم السري وربطه بقضية السلطة السياسية البديلة باعتباره أداة لتأسيس الدولة الإسلامية والدعوة إلى الكفاح ضد الاستبداد السياسي والعمل على خلاص تونس من حكم "العمالة والخيانة والنهب"، وذلك باسم الإسلام وتحت رايته. لذلك فعّلت الدولة التوجه القائم على تجريم التصرفات الإرهابية وكل محاولة ترمي إلى قلب النظام بالقوة تأسّيا بالثورة الإيرانية. وأصدرت محكمة أمن الدولة أحكام زجرية صارمة في حق مؤسس حركة الاتجاه الإسلامي المحظورة (السجن المؤبد) مع تنفيذ حكم الإعدام على عناصر من مجموعة "الجهاد الإسلامي" على غرار محرز بودقة وبولبابة دخيل. وأما تزايد المخاوف من مغبة تنفيذ الأحكام الزجرية في حق المسجونين تم الإعداد لعملية انقلاب من قبل ما سمي بـ"المجموعة الأمنية" حُدد تاريخ تنفيذها بالثامن من نوفمبر 1987، ولكن الانقلاب الأبيض الذي قاده زين العابدين بن علي هو ما مكن من إقصاء الرئيس بورقيبة من السلطة بحجة طبية قبل موعد التنفيذ بيوم واحد.
والبين أن المواقف المتشدّدة التي اتسم بها تعامل الحكّام الجدد مع الملف الإسلامي مردّه التحاق بعض العناصر اليسارية التي لعبت دورا  مهما داخل الحركة الطلابية (زهير الذوادي والمنصف قوجة وخميس كسيلة)، وهي ذات العناصر التي بلورت التصوّر الذي ارتضته السلطة في معالجة المشكلة الإسلامية والذي ترتب على توجه إيديولوجي صارم لا على موقف سياسي خاضع لموازين القوى.
فلئن حاول الرئيس الجديد للبلاد جرّ مختلف قوى المعارضة للإقرار بتوجهاته العاملة على التغيير من خلال إطلاق سراح القيادات الإسلامية بداية من شهر ماي 1988 وطي ملف الشخصيات السياسية التي حاكمها بورقيبة والسماح بعودة المنفيين وسن قانون جديد للأحزاب يقر بالتعددية ويضمن حرية تكوين الجمعيات، غير أن نظامه لم يتوصل إلى الخروج من التناقض بين منطق انتهاج الديمقراطية وبين دكتاتورية الحزب الواحد، مما أشّر موضوعيا على أن جميع الإجراءات التي اتخذها والتي شكّلت فخا سقط فيه الجميع بما في ذلك الإسلاميون، لم يكن بوسعها تغيير طبيعة السلطة جوهريا.
فلا العمل التعبوي الذي قام به الإسلاميون لإعادة الهدوء للشارع ولا تغيير اسم الحركة كي يصبح ملائما لقانون الأحزاب (حركة النهضة) ولا تحديد موقف واضح من مجلة الأحوال الشخصية واعتبارها صراحا اجتهاد إسلامي، ولا التأكيد على القبول بالتنافس في كنف ما تسمح به المعادلة السياسية الديمقراطية ولا التغيير الجذري الطارئ على كوادرها العاملين جنبا إلى جنب مع الفئات المتعلمة الحاملة لثقافة مدنية ولائكية، كان بوسعه أن يشفع لها لدى السلطة الحاكمة الجديدة فتقبل بالترخيص لها بالعمل السياسي العلني وهو ما بينته نتائج انتخابات جويلية 1989 التي أثبتت صدور الرئيس عن موقف أمني فاقد لأدنى متطلبات المعالجة السياسية لما اعتبر أن "لا مجال للاعتراف بحزب ديني".
وأوغلت الدولة بعيدا في توجهها من خلال تطبيق سياسة "تجفيف المنابع" وذلك عبر القطع ثقافيا وتربويا مع التصورات الدينية الميالة للنقل والدعوة إلى التدبر والتعوّد على استعمال ملكة العقل. كما تم توجيه المجتمع المدني نحو نبذ التدين والأصولية وتزهيده في الإقرار بالهوية العربية الإسلامية للمجتمع. في حين سيطرت السلطة على دور العبادة وأزالتها من الإدارات والجامعات والمؤسسات العامة، محوّلة الخطباء إلى مجرد موظفين يؤمون المصلين ويدافعون على السياسة الرسمية للدولة. كما مُنع ارتداء الحجاب رسميا في مواقع الشغل والتدريس وتم نعته بـ"الزي الطائفي"، وسلطت الرقابة على الأدبيات الإسلامية المتشدّدة الاحتجاجية منها والتراثية.
استغل النظام التونسي الجديد أزمة الخليج للخروج من مأزق الجمود السياسي وعدم قابليته للقبول بمنطق الديمقراطية السياسية التعددية مسوّقا لعمقه العربي الرافض للهجمة الغربية على مقدرات الأمة العربية، مستهدفا تهميش حركة النهضة وعزلها من خلال إظهارها بمظهر الموالي للأنظمة الخليجية وللامبريالية الأمريكية، مُقدّما نفسه للدوائر الغربية بمثابة الراعي لمصالح التحديث والضامن ضد زحف الحركات الأصولية. وتمخضت الأوضاع المتقلّبة إلى حصول انفلات ضمن العناصر الراديكالية العنيفة التي شكّلت الجناح الأكثر احتجاجية وجهادية من بين الخط السلفي من خلال الاعتداء على مقر التجمع الدستوري بباب سويقة وتشويه حارس المقر بماء النار. وهو أمر نفاه راشد الغنوشي بشدة معتبرا أن مسؤوليته تعود إلى "الأجهزة السرية" التونسية.
غير أن أهم ما تمخضت عنه تلك الأحداث هو النقد الذاتي الذي قام به راشد الغنوشي نفسه والذي اقرّ بوجوب تجاوز الإرث الإخواني والانخراط حقيقة في توجهات ديمقراطية تنبذ الاستبداد وتعتبر أن الحاكمية للشعب وأن حاكمية الله تمر عبر الشعب. بينما اعتبر الشيخ مورو أن أفضل المضامين التي بتعين على النهضة الاحتكام لها هو المنهج التحديثي الذي يقوم على أساس فصل الحركة الدينية على الحزب السياسي، دون أن يعني ذلك فصل الدين عن السياسة. وهي رؤية سياسية تحديثية ترمي إلى تجاوز التقابل والتناقض بين الإسلامية والأصولية والليبرالية السياسية، استلهاما لتجربة الحركة السلفية في المغرب التي تطوّرت في صيرورتها إلى حزب سياسي وطني هو حزب الاستقلال.
وهكذا تحولت "حركة النهضة" بالتدرّج إلى نهج سياسي متكيّف مع الظروف التاريخية والاجتماعية والثقافية للمجتمع التونسي وخصوصياته الثقافية المتأثرة بالنموذج الفرنسي. فقد تبنّت فكرة الديمقراطية واعترفت بالتعددية والتسامح والحرية باعتبارها جزء من موروث التونسيين العام، واختارت طريق تونسية إلى الإسلام والحداثة قوامها بلورة عقل إسلامي نقدي يتعايش مع أشد خصومه الإيديولوجيين من ممثلي اليسار الشيوعي على أرضية احترام الحريات العامة وحقوق الإنسان وصون الهوية العربية الإسلامية للبلاد.
النهضويون وتحدي الانتقال الديمقراطي :
لم تملك تونس في عهد دكتاتورية الدستوريين مشروعا ديمقراطيا فقد كان التجمع الدستوري يعتمد على احتكار السياسة في مقابل الانفتاح الاقتصادي في أطار الليبرالية والعولمة. وفي المقابل عاينت حركة النهضة تحولات حقيقية في مسيرتها التاريخية عاملة على إقناع مختلف القوى المعارضة على أنها تمثل "إسلاما معتدلا" يقبل بالمواطنة الكاملة للتونسيين ويعلن عن تمسّكه بالتعددية وحرية الفكر والرأي والتعبير ويرمي إلى صون حقوق المرأة ومكاسبها.
عقدت الحركة ثماني مؤتمرات منذ تأسيسها معظمها حصل بالغرب، وهي تؤكد قبولها التام بالديمقراطية دون الحديث عن أي خصوصية حضارية أو دينية، محتكمة إلى الشعب وقابلة بمبدأ التداول على السلطة ومسلّمة باختيارات الشعب مهما كانت، معتبرة أن حكم الشريعة مرتهن بقبول الشعب له دونما حديث عن مرجعية دينية يرفضها المواطنون.
ويعتبر زعيم حركة النهضة راشد الغنوشي أن النموذج التركي هو أقرب النماذج لحركته معتبرا أن هناك نقاط تشابه كثيرة بين حركة النهضة وحزب العدالة والتنمية وأن مرد ذلك هو انتشار كتبه ضمن أبرز مراجع حزب العدالة والتنمية نفسه. غير أن الاكتفاء بهكذا إدعاء دون التدقيق في سياقه التاريخي يجعل الحركات الإسلامية العربية عامة وحزب النهضة تخصيصا تبني على الشيء ونقيضه. فالنموذج التركي يقوم على ركائز ثلاث: العلمانية والديمقراطية والرابطة الغربية.
ولعل مسألة العلمانية تشكّل التحدي الأكبر للحركات الإسلامية عامة. فالعلمانية لم تصدر عن ثورة نقلت المجتمع التركي من التأخر إلى الحداثة، بل أصبحت في ظل سيطرة المؤسسة العسكرية بمنزلة المذهب والعقيدة التي تمارس سلطة الضبط والتدخل ومصادرة الحرية. فارتبطت بالاستبداد وتحوّلت بالتقادم إلى إيديولوجية مقدسة بل دين جديد. والحال أن العلمانية المنفتحة هي المدخل الحقيقي لفض مشكل الأقليات في بلد متعدّد الأعراق، والإطار الفعال لبناء الدولة الحديثة المرتكزة على المواطنة.
لم تظهر الأحزاب الإسلامية بتركيا إلا بشكل متأخر عندما أسس نجم الدين أربكان سنة 1970"حزب النظام الوطني". ويعود نجاح الإسلاميين المذهل في أقل من ثلاثين سنة إلى العلمانية التي دفعت نجم الدين أربكان زعيم حزب "الرفاه" الذي شكل حكومة سنة 1996 إلى تجسيد القطيعة مع الصيغة التقليدية للهوية القائمة على الجوهر السرمدي للدين. لذلك يتعين على كل حزب يعمل ضمن فسيفساء من الأعراق (أتراك – أكراد – عرب – أرمن – شركس - لاز) وطوائف متعددة (سنة – علوية – مسيحيين أرثوذكس) أن يبلور هوية وطنية تركية تعانق الواقع من خلال أبعاد ثلاثة:
-    التاريخي: عبر إدخال الإسلام في عالم الحداثة أو "أسلمة الحداثة" والكف عن دفع المجتمع قسرا على تبني المنظومة الشرعية الإسلامية.
-    الكوني: عبر تبني العلمانية المنفتحة
-    الواقعي: الذي يعتبر الهوية مسألة متحوّلة تحيل على التطور والتغير والصيرورة التاريخية بما هي وعي بالضرورة الديمقراطية.
كما أن السياسة التركية الجديدة المنتهجة لتوجه "العودة إلى الشرق" من خلال المصالحة مع الإرث العثماني، هي وليدة نتاج تاريخي لحركة "التوليف التركي الإسلامي" التي تهدف إلى إعادة بناء الهوية بإضافة البعد الإسلامي أي الإيمان من دون أسلمة للحكم. لذلك تبدو تركيا الدولة الوحيدة في منطقة الشرق الوسط التي تعيش في ظل حزب العدالة والتنمية الإسلامي المعتدل الذي يرفض القطيعة مع العلمانية الأتاتوركية، بل يدافع عنها ويقيم توازنات ناجعة بين المصالح والأيديولوجيا، بين الإسلام والعلمانية، بين الانفتاح على الغرب والشرق العربي الإسلامي، بين الهويتين الفردية والجماعية، بين القومية وحكم القانون، والحال أن جميع دول المنطقة الإسلامية من المغرب إلى باكستان لم تنجح في إنجاز هكذا نقلة.
يقدم جون فرنسوى فايار Jean François Fayard  ضمن كتابه "الإسلام الجمهوري، أنقرة، طهران دكار L’Islam républicain Ankara, Téhéran et Dakar  " تحليلا رصينا لهذا الزواج الجمهوري في تركيا، معتبرا أن تركيا الإسلام والجمهورية هما على ذات السفينة، وأن العلمانية التركية تعني تبعية الدين للدولة على خلاف العلمانية الفرنسية التي تعني الفصل بين الدين والدولة. فإذا كان ثلاثة أرباع الأتراك يريدون رئيسا للجمهورية مسلما، فإن أولئك ينتظرون منه أن يدافع عن العلمانية. فالرهان الحقيقي حاضرا هو كيفية تجاوز المفهوم الإثني – الديني للمواطنة والمرور إلى إعادة تملّك مدلولها الكوني.
ومن الواضح عربيّا أن الحركات والأحزاب الإسلامية التي قبلت الدخول في المسار الديمقراطي ونبذت العنف قد تبنت الخطاب السياسي لحزب "العدالة والتنمية" (المرشد الأعلى لحركة الإخوان مهدي عاكف، عضو جماعة الإخوان عصام العريان، أمين عام حزب العدالة والتنمية المغربي سعد الدين العثماني، رئيس حركة النهضة التونسية راشد الغنوشي). فهل يعني ذلك القبول بالعمل تحت سقف قيم الجمهورية أي تحت سقف مدنيّة الدولة وعلمانيتها؟ فالإسلاميون الأتراك يؤدون الفرائض جميعها، غير أنهم ينظّمون حياتهم وفقا لقوانين مدنية بالكامل. كما أن نصف هؤلاء قد حوّلوا الدين إلى مجرد علاقة بين الفرد والخالق مُعرِضين عن منظومة الحكم الإسلامي. لقد قبلوا بذلك مكرهين في الأول ثم استمروا طوعا، فهذّبت العلمانية خطابهم الذي لم يتغير عن النهج المدني العلماني بعد انتصارات 2002 و 2007 بل زاد ذلك النهج متانة من خلال عدم تجريم الزنا والسماح لجمعيات المثليين بالعمل بكامل الحرية.
يبدو خطاب الشيخ راشد الغنوشي بخصوص محاكاة النموذج التركي بعيدا عن كل مضمون واقعي في ضوء تصرفات الجماعات السلفية المتحالفة مع حركة النهضة، وجناحها المتشدّد أيضا. كما أن الشيخ راشد يفضل التكتم على إيمانه أم لا بالجانب العلماني للنموذج التركي، وبالتالي إذا ما كانت حركة النهضة لها صفة "الإسلامية" أم أنها في طور التحوّل لتكوّن نموذج تونسي يحاكي النموذج التركي ويعمل على يناء الدولة الديمقراطية التعددية، التي تشكل المدنيّة والعلمانية على الحقيقة مدلولها الدقيق. 



                

dimanche 24 juin 2012

LA TUNISIE DU XXIe SIÈCLE Quels pouvoirs pour quels modèles de société ?




Pr

Il a fallu un concours exceptionnel de circonstances pour confectionner ce numéro spécial d’EurOrient consacré à la Tunisie ; en effet, cette dernière, africaine, méditerranéenne et orientale, a été toujours ouverte sur les apports extérieurs entre l’Orient et l’Occident ; elle se situe donc tout bonnement dans la politique éditoriale, intellectuelle et culturelle d’Eurorient ; présente depuis la haute antiquité dans les relations entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, via mer et Sahara, la Tunisie actuelle, l’ancienne Numidie, Carthage, Africa, Ifriqya, a su, malgré vents et marées, se tailler sa propre place et sa propre personnalité ; elle n’est pas née ex nihilo ; mais toutes les vicissitudes de l’histoire comme de la géo politique ont fait d’elle un espace privilégié de luttes et de résistances contre les envahisseurs, les occupants et les pouvoirs autoritaires ; les acteurs de cette histoire, hommes et femmes, civils, militaires, religieux, commerçants et hommes de culture, placés inégalement et différemment sur l’échiquier, ont mené en solo ou en réseaux sous formes de groupes, clans et fronts, des épopées encore légendaires ; l’espace tunisien, géographiquement parlant, réduit ou limité par les rapports de force des différentes conjonctures, est historiquement chargé et riche en enseignements dignes de respect et de mémoire.
Que de dynasties ont gouverné ! Que de savants et hommes de plumes ont laissé des œuvres phares ! Que de magistrats et de courants de pensée ont vu le jour au sein de cette terre tunisienne ! il n’y a pas lieu de les citer ici, mais force est de constater la pesanteur historique de cet espace réel, mais combien mythique et symbolique ; lieux de mémoires scripturaires, architecturales, artistiques, documentaires, archivistiques, archéologiques, calligraphiques, funéraires, scientifiques, sociologiques et juridiques, pour n’en citer que quelques-unes, la Tunisie est un champ d’investigation digne de l’intérêt de toutes les sciences de la société et de l’homme dans la diversité de leurs approches et backgrounds. 
Dans ces conditions, l’on ne doit pas s’étonner si ce pays et sa population ont fait l’objet, depuis les temps dits modernes et même avant, de correspondances, de littératures de voyages et de tout un imaginaire et une altérité. 
Mais les événements ayant secoué le pays depuis décembre 2010 et mis fin, le 14 janvier 2011, au pouvoir de Ben Ali ont vite élevé la Tunisie à la une des médias mondiaux, de la Chine à l’Amérique en passant par l’Afrique et l’Europe ; insurrection ? Révolte ? Révolution ? Coup d’État ? Les analystes et les observateurs étaient, entre la surprise de l’événement et son originalité à plus d’un titre, non seulement perplexes, mais contradictoires en matière d’appréhension et d’analyse de ce qui se passait à l’intérieur du régime et de la société. La situation méritait donc ce dossier, en France comme ailleurs dans le monde.
Pour entreprendre ce dossier, plusieurs choix, mais aussi contraintes étaient à envisager ; nous avons opté, finalement et après concertation, pour l’interdisciplinarité et la variété des auteurs, universitaires et non universitaires ; ainsi, douze contributions de valeur sûre, mais de volumes variables, ont constitué la matière de ce numéro d’Eurorient ; les auteurs, comme individus ou groupes, viennent d’horizons géographiques, culturels et politiques particulièrement divers, différents, mais complémentaires ; ces plumes sont de Belgique, de France, d’Égypte, d’Angleterre, des USA mais aussi de Tunisie, espace par excellence de l’événement-avènement étudié sous différentes formes ; les auteurs appartiennent à des champs académiques, culturels et scientifiques relevant du registre, combien important, mais complexe, des sciences de l’homme et de la société : archéologie, histoire, sociologie, droit et sciences politiques, diplomatie, critique littéraire, socio linguistique, journalisme et sciences de l’information.
Il va de soi donc que les différentes contributions de ce dossier approchent de divers angles la situation de la Tunisie depuis l’époque médiévale ; cette transversalité dans le temps a le mérite de montrer que la matrice de cette histoire tunisienne est relativement la même : pouvoir central contesté, société résistante, élites en rapports conflictuels avec le pouvoir ou le défendant jusqu’à l’extrême ; c’est dire que les mouvements sociaux, les résistances et contre résistance aux pouvoirs, les contestations des pratiques et comportements politiques en Tunisie ne datent pas d’aujourd’hui ; deux articles ont scruté cet aspect en se focalisant sur les 8e et 19e siècles tunisiens pour montrer finalement que la société et le pouvoir, dans cet espace tunisien réduit, ont à la fois des histoires parallèles et des histoires croisées ; ces deux grands acteurs des dites histoires ne sont pas dans les mêmes positions et n’ont pas les mêmes visions du monde et de la vie ; les contradictions qui les traversaient ne pouvaient retarder l’affrontement, matériel ou symbolique, par l’un des moyens les plus appropriés. Même l’historiographie n’a pas échappé à la manipulation des uns et des autres et ce n’est pas toujours vrai de dire que l’histoire est écrite par les vainqueurs.
Le reste des autres écrits est principalement axé sur la Tunisie de l’après 17 décembre 2010 ; il a fait l’objet de mémoires, de témoignages et d’analyses de diplomates, de sociologues, de journalistes, d’historiens, de critiques littéraires, mais aussi de militants des droits de l’homme de la section de Toulouse ; chacun, dans son propre style et avec ses propres corpus et outils, donne une vision des choses qu’on peut partager ou critiquer ; les auteurs ont écrit librement à tous les niveaux ; c’est le thème du dossier qui les a unis et guidés ; cette dimension fait la richesse, la variété et même la beauté de ce numéro qui a réuni des plumes qui se connaissent et qui ne se connaissent pas. 
Cette terre tunisienne, par ses hommes et ses femmes, ses jeunes et moins jeunes, ses élites et ses forces laborieuses, ses espoirs et ses difficultés, a fait couler l’encre à travers la presse mondiale en cette année 2011  qui entre dans les annales tunisiennes et celles des mouvements sociaux les plus revendicatifs et contestataires du monde ; ils ont réussi à se faire une place méritée dans les discours politiques et culturels de nos jours au point d’attirer l’attention de grands maîtres à l’instar de Chomsky, Badiou, Mendela ou Samir Amin.. La question n’est nullement ou exclusivement politique. Le pays concerné cherche encore à établir définitivement des rapports équilibrés et participatifs avec les pouvoirs de toutes sortes : religion, pensée, politique, finances, enseignement, médias, science, gouvernés et gouvernants, le passage de l’état de Sujet à celui de Citoyen, etc. 
La trajectoire est longue et non sans risques de dérapages car les enjeux, pour les uns comme pour les autres, ne sont ni les mêmes ni de même poids. Ces travaux d’Eurorient ne sont pas tous de même nature ; certains relèvent de la recherche académique avec ses outils et ses conditions ; d’autres se situent dans le cadre de réflexions ou même de méditations sans parler de la littérature de voyage ou des rapports de mission et des approches de journalisme professionnel. À lire cet ensemble d’écrits, l’on ne peut que se faire une belle idée de la Tunisie, mais aussi de l’importance et de la complexité de ses problèmes au quotidien.

C’est dans ce cadre que l’Égyptien Mohamed Abdel-Azim, en chercheur et journaliste, se penche sur une riche comparaison entre les deux pays, Tunisie et Égypte, pris par le même sursaut révolutionnaire ; il dessine avec des éléments pertinents les contours des malentendus et des impasses dans les deux sociétés ; il revient sur les raisons de la colère ici et là par une manière de préciser les origines de fractures par l’État ou par le bas ; ce tout bien écrit le mène aux autres questions menaçant, selon lui, les deux mouvements sociaux et politiques inscrits dans la même logique de pouvoir contesté et de société résistante ; ce sont les élections et les procès, les paradoxes des deux révolutions, les doutes et les craintes, mais surtout ce couple islam-modernité ou islamistes et modernistes. Sa belle perspective sur les constitutions tunisienne et égyptienne de l’ère post révolutionnaire s’inscrit tout bonnement, à bien écouter l’histoire, dans ce qu’il appelle « questions sans réponses » ; l’histoire le dira.
Sur un autre plan, l’historien et universitaire tunisien, Lotfi Aissa, s’attache à mesurer et préciser l’ensemble des conditions d’une liberté citoyenne conçue comme une valeur phare dans le développement d’une pensée politique réellement moderne en Tunisie ; il en analyse quelques éléments aptes, selon lui, à remodeler les mentalités collectives tunisiennes construites, politiquement et même dans l’imaginaire, depuis la première constitution du XIXe siècle jusqu’à celle de 1959. L’objectif de cette pertinente analyse est de plaider pour un vrai rééquilibrage des pratiques politiques et des rapports entre les acteurs de la société et du pouvoir, car ce qui s’est passé dans le pays et à travers l’ensemble de son histoire traduit un grand divorce entre le pouvoir central et la société profonde. C’est dans cet esprit que l’auteur défend, avec sagesse et esprit lumineux, le projet d’un autre modèle de penser qui n’est pas sans rupture fondamentale et épistémologique avec les libertés individuelles. Ceci constitue une entrée à/dans la modernité en ce sens que l’homme est avant tout Une Valeur.
Quant à Fathi Bahri, en archéologue et historien de l’Islam classique en Tunisie, l’ancienne Ifriqyia, il se penche sur un mouvement et un évènement particuliers à travers l’historiographie musulmane. Il s’agit de la révolte des Berbères au Maghreb et de la façon dont était écrite cette révolte ; il énumère et analyse avec profondeur les récits les plus anciens en rapport avec ce mouvement socio politique et culturel ; il se base sur le corpus des intellectuels de la ville irakienne de Fustat au 8e siècle, d’un côté, et sur l’historiographie de l’Occident musulman en rapports avec les fuqaha’ de l’autre côté ; l’auteur montre finalement que ces récits hostiles à la réalité et à la révolte des Berbères diffusent une image négative et avilissante des révoltés. La valeur de ce travail réside dans la nécessité de critiquer toute historiographie et de la croiser aux autres corpus afin de dénicher les lieux et les milieux de désaccord.
Un autre son de cloche nous vient d’un diplomate belge ; Michel Carlier, en sa qualité d’ambassadeur de Belgique à Tunis de 2005 à 2008, nous livre un très beau tableau sur « sa » Tunisie à lui où mémoire, réflexions, analyses, points de vue, rapports directs, mais relatifs avec l’espace et les Tunisiens, s’entremêlent ; la richesse de ce travail fait de lui un témoignage profond, mais averti ; l’auteur parle à juste raison, s’agissant de « sa » Tunisie, d’une recherche de démocratie, de l’inquiétude d’un peuple, de l’avenir à construire ; il insère ce tout dans une logique de l’histoire tunisienne dont il choisit le cadre : de l’Indépendance à la Révolution  et en précise les fondements comme les limites : le Bourguibisme, l’éveil de l’islamisme, le système Ben Ali, la nouvelle constitution, l’heure du bilan, les tares de l’ensemble du système notamment le régionalisme, en privilégiant, enfin, la question des droits de la femme, devenue arme classique dans le discours politique moderne.
Un mouvement de va-et-vient entre le passé et le présent de la Tunisie caractérise l’ensemble de ces approches comme si l’Histoire constituait, à elle seule, la boîte à outils de la « mécanique » tunisienne et ses grandes pannes ; c’est dans ce cadre que l’universitaire et historien tunisien Mahmoud Ettaieb s’infiltre dans le XIXe siècle tunisien pour en voir les formes de comportement et de pratiques politiques en rapport avec les différentes allégeances et les divers enjeux. Acteurs politiques et positions nuancées en matière de relations avec le pouvoir central sont finement analysés ; la question de la souveraineté de l’État par rapport aux influences et même ingérences européennes est soulevée ; le passé rappelle le présent comme si ce passé ne passait pas. Le mérite de cette analyse est de mettre le doigt sur les constantes de l’histoire socio-politique et culturelle de la Tunisie, introduite depuis des siècles dans des rapports et réseaux avec l’Europe difficiles à dissocier. L’histoire, à l’hégélienne, a ses propres lois et surtout ses propres ruses.
S’agissant d’Ahmed Jdey, en historien de la période moderne et contemporaine et étant « à cheval » entre les deux, il pose à sa manière les conditions méthodologiques et surtout épistémologiques de l’écriture de l’histoire du 14 janvier 2011 en Tunisie. En effet, cette date est à la fois un Jour, un Événement, un Avènement, un Point d’interrogation dans l’histoire politique et des idées en Tunisie. Les origines profondes du mouvement social le plus affirmé, le plus étendu et le plus radical dans le pays, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, a mis fin à un dictateur, mais non au système de la dictature. La question est posée dans la logique de l’État tunisien de l’indépendance ; ce dernier est, historiquement, né dans les crises et n’a pu faire face à ses crises internes, notamment, que par la violence symbolique, politique et matérielle. Les rapports entre État et Société sont foncièrement contradictoires et leurs images sont mutuellement négatives  ; l’État de l’indépendance a géré ses crises et ses difficultés, par des lois, des mesures politiques, des discours, des violences matérielles ; la solution, sociologiquement parlant, ne relevait pas de ses préoccupations.
De sa part, la socio linguiste et universitaire tunisienne Nabiha Jerad, aborde avec sa très belle plume les relations entre la langue et la révolution ; selon elle, et c’est vérifié historiquement, les mots, les langues, les langages, les dialectes, comme expressions culturelles et psychologiques très profondes, peuvent être à l’origine des révolutions et des mouvements contestataires d’une manière générale. Sa vision globale des choses lui permet de saisir l’importance des mots et le pouvoir des langues dans la vie des individus, des groupes et des sociétés ; pour l’auteur, la révolution en Tunisie est d’abord un événement de langue ; le pouvoir de mobilisation des slogans, comme celui de Dégage ou Irhal, est à la fois simple et pragmatique. Ce pouvoir linguistique et langagier constitue un vrai réservoir de revendications politiques et culturelles existentielles : Liberté et Dignité en sont les moteurs. Il s’agit, dans la logique des demandes sociales de la volonté d’accéder à la démocratie par les Mots, le Verbe, La Langue ; ces derniers ne sont pas, cependant, un bloc homogène  car ils s’entendent différemment, selon les uns et les autres et selon la position d’où on écoute ou on voit ; c’est la question différentielle entre Islamistes et Modernistes en Tunisie comme ailleurs.
L’universitaire américain, Ronald Judy, en critique littéraire, voit la révolution tunisienne d’un autre œil ; ayant connu et vécu en Tunisie, la thèse principale de l’auteur est que l’aboutissement de cette révolution tunisienne se situe dans le type d’éducation et d’enseignement dés l’indépendance avec l’intellectuel et l’écrivain Mahmoud El Messadi, alors ministre de l’éducation, sous le règne de Habib Bourguiba. Ce projet a contribué à la formation d’excellents cadres tunisiens et d’éminents spécialistes imbus d’humanisme ; pour comprendre cette révolution, il faut alors comparer les deux systèmes d’enseignement sous Bourguiba qui a défendu l’école moderne et sous Ben Ali qui a déformé le contenu de l’éducation. La jeunesse de la révolution est celle qui est victime de l’enseignement de Ben Ali et qui s’est révoltée contre lui. L’enseignement, dans les deux cas, est à l’origine des changements sociaux et des mentalités de la Tunisie contemporaine. Pour l’auteur, cette révolution tunisienne s’inscrit dans l’ère de l’humanisme et du cosmopolitisme.
Un autre regard, pertinent, nous est donné par l’historienne américaine Silvia Marsans Sakly  ; habituée à la Tunisie et aux Tunisiens, ayant fait une thèse de doctorat sur la révolte d’Ali Ben Ghadhahim en 1864, l’auteur continue ses réflexions sur les rapports entre pouvoir et société ; pour elle, ce qui se passe en Tunisie, en décembre 2010, est une insurrection populaire, la première en son genre, post coloniale du monde arabe ; sur ce plan, elle a un caractère symbolique exceptionnel. Liée à l’humiliation, à la dégradation et au non respect de l’individu, elle matérialise des types de mobilisation sociale, géographique et culturelle, à partir de son espace originel, Sidi Bouzid ; l’auteur plaide pour un vrai contrat social entre pouvoir et société qui a pour but primordial de mettre fin à la désillusion des jeunes, à l’injustice sociale et à la répression de tout un système ; le ton critique de cette contribution est d’une valeur sûre.
Le tunisien Mohamed Salah Omri, en critique littéraire et universitaire à Oxford University, s’intéresse, quant à lui, à un mouvement politique et intellectuel fondateur dans la Tunisie indépendante ; il s’agit du Mouvement Perspectives (À’fa’q) ; il concrétise à la fois la culture de protestation et l’opposition au régime bourguibien ; imbu de la culture de l’époque, il défend les libertés, la justice et la démocratie ; à partir d’un roman, d’un film et d’une pièce de théâtre, l’auteur étudie les rapports, combien intimes et complexes, entre l’histoire, la culture et la politique en Tunisie depuis 1960 à 2012 ; la littérature et les arts en Tunisie de Bourguiba comme de Ben Ali n’ont pas tourné le dos à la politique et à l’histoire ; c’est un long voyage de recherche et de construction de soi à travers plusieurs outils et sources ; le but est de réussir une grande métamorphose qui garantira le passage du tunisien, de son état de Sujet à un nouveau monde, celui de Citoyen ; sur ce plan, la Dignité revendiquée par les Tunisiens et les Tunisiennes, est synonyme de Citoyenneté.
Le sociologue de la culture et l’universitaire tunisien Mounir Saidani inscrit son intérêt à la révolution tunisienne comme mouvement social d’importance dans l’hypothèse de construction d’une situation paradoxale ; il la définit comme une variété de version de Modernités qui se livrent lutte, par plusieurs moyens et sous différentes formes ; liées aux nouvelles élites au pouvoir ou contre pouvoir, l’auteur en précise les conditions, les cadres et les divergences de tout ordre ; pour lui, les deux types de Modernités envisagées en Tunisie ou à construire, ne relèvent pas du registre classique et connu : Islamistes/Modernistes ; il s’agit plutôt de deux types de Modernités situées chacune dans la société Postcoloniale ou la société Postglobale ; ici se saisit l’originalité de cette contribution qui ne résout pas finalement les rapports entre Islam et Modernité.
La contribution des militants des droits de l’homme est très spécifique ; elle n’est pas le fruit de la plume d’une seule personne ; elle n’est pas un article académique ; u contraire, elle est un rapport d’une mission de la section des droits de l’homme de Toulouse et de la section d’Amnesty Internationale de la même ville ; cette équipe qui a effectué son séjour en Tunisie au mois de novembre 2011 a tenu à venir vivre parmi les Tunisiens et les Tunisiennes ; cette décision était prise quand Rémy Cochard, à la tête de la délégation, était convaincu avec ses collègues, comme militants des droits de l’homme, que les médias occidentaux, notamment français, ne disaient pas tout sur ce qui se passait en Tunisie. Mes contacts et débats avec eux à Tunis, c’est-à-dire avec Danièle Benoit, Jean-Louis Benoit, Liliane Bernhardt, Claude Bernhardt, Jean-Louis Bône et Rémy Cochard étaient des plus riches ; ils s’en font un écho. Les déplacements, les échanges, les rencontres, les observations ou même leurs interrogations, à Tunis comme au Kef et dans d’autres lieux étaient particulièrement riches pour eux et avaient surtout enlevé les doutes ou les a priori. Dans ce rapport inédit et élaboré collégialement, ils analysent la situation du pays, abordent le processus constitutionnel suite aux élections et donnent une vue panoramique sur les partis et acteurs politiques de la Tunisie sans oublier les appareils de l’État ; un intérêt particulier a été donné à la société civile, à la période transitoire, à la peine de mort, aux droits des femmes, aux rapports Occident-Islam, aux arts et à la culture ; fruit de rencontres et d’impressions sur les terrains tunisiens, ce rapport entre aussi dans les productions culturelles et politiques de l’événement capital 17 décembre 2010-14 janvier 2011.
Les années de l’après seconde guerre mondiale en Tunisie sont déterminantes dans l’évolution spécifique du mouvement de libération ; plusieurs rapports diplomatiques, correspondances et autres corpus conservés en Tunisie , en France et même ailleurs en font les échos; les partis et la presse nationalistes, l’organisation syndicale, la question du bey Moncef, les voyages de Bourguiba , entre autre, avaient donné une dimension relativement nouvelle dans la coloration du nationalisme tunisien ; les rapports des Archives françaises présentés par Ata Ayati , en font foi ; les comparer avec d’autres sources, tunisiennes et non tunisiennes, les faits sont les mêmes : des grèves, des manifestations, des émeutes, des actions politiques et diplomatiques, sont l’expression d’une élite et d’une société engagées dans la logique de libération nationale ; les autorités françaises à Tunis suivaient la situation de très près et en informaient Paris pour toute possibilité d’apaiser, de pacifier ; le courant est contre la colonisation. Il s’agissait donc de bien préparer politiquement et sociologiquement tout le pays à l’indépendance. 
Cette présentation est partielle ; elle ne remplace aucunement la(les) lecture (s) de ce numéro pour y scruter les styles, les articulations, les mots, les images et les types de pensée de chaque auteur/producteur ; ce dossier est marqué par les empreintes de son temps, ses temps : des uns et des autres, leurs psychologies, leurs parcours, leurs pensées, leurs interrogations, parfois leurs doutes sur un événement dont ils ne connaissent pas encore l’aboutissement. 
Nous avons voulu tout simplement interroger et nous interroger en partant de la base d’un mouvement singulier et a typique produit et vécu par les tunisiens et les Tunisiennes, chacun ou chacune à sa manière ; nous avons aussi voulu mettre à la disposition du monde francophone et anglophone les idées, voire les sentiments des auteurs unis autour de ce « tremblement tunisien » ; je ne peux que remercier finalement les auteurs de ce dossier avec qui j’ai pu échanger et faire évoluer les choses ; d’une idée, d’une proposition, d’une volonté, naissent les grandes réalisations ; ce numéro d’EurOrient spécial Tunisie en est une et non des moindres ; l’histoire le retiendra et c’est aussi une histoire commune, partagée avec certains des auteurs qui sont amis et les autres, qui le sont devenus, même si je n’ai pas eu l’occasion de faire directement leur connaissance.


Ahmed Jdey 
EurOrient, Tunis, le 31 mai 2012