samedi 29 septembre 2012

La Tunisie en partage



 
 
 « Qui impose un récit hérite la terre du récit »
Mahmoud Darwich





Nommer l’espace 
Le mot Ifriqiya a exprimé  jusque tard au XVII e siècle la présence d’un territoire tampon entre l’Egypte et le Maghreb, ou si nous préférons  l’explication donnée par Léon l’Africain dans sa description de l’Afrique, le territoire qui sépare le continent européen d’une partie du continent asiatique joignable en traversant la mer méditerranéenne.
Les limites d’un tel territoire conservèrent une identité géopolitique  approximative. Tous les géographes arabes du moyen-âge Bakri, Istakhri, Yaqout, et Yakoubi, sont d’accord que les limites géographiques d’une telle entité correspondent au territoire conquis par les aghlabides, alors qu’Ibn Abi-Dinar trancha au XVII e siècle en indiquant que le « bled Frigua » n’englobait à son temps que la zone de parcours des tribus de la nouvelle régence ottomane et qui se situe au-delà du sud ouest du grand Tunis.            
L’émergence précoce de l’Etat territorial dont les premiers balbutiements  remontent aux derniers siècles de l’époque médiévale, a permis aux habitants des villes - comme ce fut le cas dans les pays d’Occident - de jouer un rôle capital dans l’éclosion d’une identité territoriale devenue aujourd’hui une réalité familière.
Les positions partisanes des chroniqueurs des sagas dynastiques, éclairent d’un jour nouveau la réussite de l’Etat à exercer son contrôle sur le territoire ; et à lui imposer une hégémonie ne souffrant pas de partage.
Cependant la tendance de la majorité des chroniqueurs à focaliser leurs discours historiques sur la dimension politico-militaire, ne révèle-elle pas l’existence d’une tendance chez les décideurs tunisiens à se contenter de la portion congrue de l’espace maghrébin ? Un tel contentement n’est-il pas aussi le fruit de la présence d’un sentiment identitaire propre aux tunisiens, indiquant le rôle joué par la géopolitique dans ce que nous ne dédaignons par d’appeler  « l’invention de la Tunisie  moderne » ; exprimant les multiples contraintes qui ont été celles de l’Etat beylical amené à ne faire valoir son autorité que sur la cette partie stratégique de l’aire géographique nord africaine ? 
 Vivre ensemble : 
Les Tunisiens de naguère comme ceux d’aujourd’hui, paressent accorder une  grande importance à leurs origines ethnique, imitant en cela leurs conquérants arabes pour qui le Nasab ou rapport de parenté représente un élément fondateur de leur culture commune. Un tel intérêt se manifeste chez les tunisiens à travers l’importance accordée aux origines familiales, aux filiations tribales ainsi qu’aux appartenances confrériques et/ou  aux descendances chérifiennes.
Historiquement prouvée, les traces de la présence humaine préhistorique en Tunisie sont repérable aussi bien dans la région de Gafsa comme près de l’oued Zouwara’. L’hypothèse de l’auteur de Prolégomènes, donnant  aux plus anciens habitants de la Tunisie les Amazighs une origine arabe (yéménite et hedjazienne) est à mettre sur le compte de l’influence du vainqueurs sur les mentalités collectives des vaincus, même si un tel point de vue - non avéré au demeurant - a contribué à échafauder une vision égocentrique de l’histoire maghrébine ou l’appartenance arabo-musulmane est outrancièrement magnifiée. Réagissant à une telle vision l’école historique coloniale tomba dans l’excès contraire en donnant aux entités politiques maghrébines de l’époque médiévale le qualificatif d’Etats berbères (Almoravides, Almohades, Hafsides, Zayanides et Mérinides).
la saga du peuplement d’une Tunisie mosaïque, manifestant une grande capacité d’adaptation et profitant de la diversité de ses composantes ethniques et confessionnelles pour forger des spécificités facilement repérables dans le joli tatouage d’une bédouine portant sur le front, le menton ou la joue une croix chrétienne, dans le burnous, le houli, la lahfa ou lihaf  tissés à la façon berbère, dans le bonnet rouge ou chachia d’origine persane ou andalouse couvrant d’accoutumé la tête des tunisiens, dans la saveur d’un gâteau turc au mille parfums méditerranéens, dans la beauté d’un carrés de zoulaij étincellent de Séville ou d’une magnifique brique de faïence d’Iznik.                                            
Les spécificités de la vie sociale paressent s’ordonner en Tunisie autour de trois facteurs de métissage impliquant ce que nous ne dédaignons pas d’appeler  le moule de la tunisianité.  Relations de parenté, rapports de solidarité sociale et formes d’engagement professionnel ont constamment représentés le levier ordonnant le brassage des différents éléments ethniques et confessionnels.
Nonobstant, il faut relativiser les prétentions rattachant à l’un des facteurs d’intégration sociale, aussi bien ethnique, familial ou confessionnel que politique ou professionnel, une quelconque primauté sur les autres. De telle facteurs, qui ont montré jusque là une évidente capacité à aplanir les problèmes des plus incongrus au plus complexes ;  paressent actuellement vivre une mort annoncée, leur interférence ne suffisant plus à mouler, comme ce fut le cas jadis, les identités communes des tunisiens.                         
S’habiller, Cuisiner et Sublimer le quotidien :  
Les Tunisiens ont incontestablement beaucoup empruntés aux différentes civilisations qui ont investi leur territoire, des partenaires anonymes d'abord suivis des phéniciens puis des romains, turcs, morisques et européens ont tous contribué à donner aux tunisiens un rapport particulier à l’accoutrement ainsi qu’une relation peu commune à l’attablement et aux arts de manger.
La façon de s’habiller des tunisiens atteste de leur volonté à s'envelopper en arborant un accoutrement simple, usant en termes de matériaux de la laine et optant pour la couleur blanche symbolisant la pureté et dénotant d’une quête évidente du salut.
La cuisine tunisienne aux origines amazighs, basée sur un rapport marqué aux céréales a dû se mettre au goût des multiples concurrents du pays comme les phéniciens venus d’Orient et les morisques expulsés d’Occident.  L’aspect sacré du pain jusqu’a l’assimilation de la vie à une permanente quête de la croûte  pourrait expliquer l’attachement des tunisiens au carré familial qui a toujours représenté, le cercle social  sécurisé par excellence.
Alors que le rapport des tunisiens à la création artistique dénotent de la présence d’un certain nombre de difficultés, qui n’expriment nullement une incapacité à sublimer le quotidien en l’accommodant à une esthétique dépassant la sensibilité du commun des mortels, mais révèlent au contraire la présence de facteurs parallèles indiquant une gêne manifeste à transcender la réalité, indépendamment de leurs efforts visant à se réapproprier la grande culture et leur volonté à faire évoluer les mœurs, en se plaçant souvent du coté du progrès. 
Le rapport des pays musulmans à la modernité a toujours suscité une agitation non dénuée de surenchère. La transgression de la réalité voir sa subversion assumée par les créateurs et l’agitation qui en découle, ont toujours relégué les défenseurs de la modernité au ban des accusés. L’aliénation à un Occident jugé trop subverti a toujours profité à l’activisme nationaliste, aux défenseurs d’une arabité humiliée et plus récemment a un islamisme "inquisiteur" ostentatoirement militant. 
Si on considère que la posture vis à vis de la modernité représente une pensée perfectible s’accommodant à la critique et reflétant une volonté de rompre avec le suranné, il est important de s’interroger sur la capacité des élites tunisiennes à s’inscrire pleinement dans une telle dynamique qui représente notre unique issue pour se mettre au diapason de l’universel.
Article paru dans le Maghreb hebdomadaire livraison du vendredi 28 septembre 2012 (rubrique culture, dossier patrimoine et développement, p.22-23).    


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