dimanche 24 juin 2012

LA TUNISIE DU XXIe SIÈCLE Quels pouvoirs pour quels modèles de société ?




Pr

Il a fallu un concours exceptionnel de circonstances pour confectionner ce numéro spécial d’EurOrient consacré à la Tunisie ; en effet, cette dernière, africaine, méditerranéenne et orientale, a été toujours ouverte sur les apports extérieurs entre l’Orient et l’Occident ; elle se situe donc tout bonnement dans la politique éditoriale, intellectuelle et culturelle d’Eurorient ; présente depuis la haute antiquité dans les relations entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, via mer et Sahara, la Tunisie actuelle, l’ancienne Numidie, Carthage, Africa, Ifriqya, a su, malgré vents et marées, se tailler sa propre place et sa propre personnalité ; elle n’est pas née ex nihilo ; mais toutes les vicissitudes de l’histoire comme de la géo politique ont fait d’elle un espace privilégié de luttes et de résistances contre les envahisseurs, les occupants et les pouvoirs autoritaires ; les acteurs de cette histoire, hommes et femmes, civils, militaires, religieux, commerçants et hommes de culture, placés inégalement et différemment sur l’échiquier, ont mené en solo ou en réseaux sous formes de groupes, clans et fronts, des épopées encore légendaires ; l’espace tunisien, géographiquement parlant, réduit ou limité par les rapports de force des différentes conjonctures, est historiquement chargé et riche en enseignements dignes de respect et de mémoire.
Que de dynasties ont gouverné ! Que de savants et hommes de plumes ont laissé des œuvres phares ! Que de magistrats et de courants de pensée ont vu le jour au sein de cette terre tunisienne ! il n’y a pas lieu de les citer ici, mais force est de constater la pesanteur historique de cet espace réel, mais combien mythique et symbolique ; lieux de mémoires scripturaires, architecturales, artistiques, documentaires, archivistiques, archéologiques, calligraphiques, funéraires, scientifiques, sociologiques et juridiques, pour n’en citer que quelques-unes, la Tunisie est un champ d’investigation digne de l’intérêt de toutes les sciences de la société et de l’homme dans la diversité de leurs approches et backgrounds. 
Dans ces conditions, l’on ne doit pas s’étonner si ce pays et sa population ont fait l’objet, depuis les temps dits modernes et même avant, de correspondances, de littératures de voyages et de tout un imaginaire et une altérité. 
Mais les événements ayant secoué le pays depuis décembre 2010 et mis fin, le 14 janvier 2011, au pouvoir de Ben Ali ont vite élevé la Tunisie à la une des médias mondiaux, de la Chine à l’Amérique en passant par l’Afrique et l’Europe ; insurrection ? Révolte ? Révolution ? Coup d’État ? Les analystes et les observateurs étaient, entre la surprise de l’événement et son originalité à plus d’un titre, non seulement perplexes, mais contradictoires en matière d’appréhension et d’analyse de ce qui se passait à l’intérieur du régime et de la société. La situation méritait donc ce dossier, en France comme ailleurs dans le monde.
Pour entreprendre ce dossier, plusieurs choix, mais aussi contraintes étaient à envisager ; nous avons opté, finalement et après concertation, pour l’interdisciplinarité et la variété des auteurs, universitaires et non universitaires ; ainsi, douze contributions de valeur sûre, mais de volumes variables, ont constitué la matière de ce numéro d’Eurorient ; les auteurs, comme individus ou groupes, viennent d’horizons géographiques, culturels et politiques particulièrement divers, différents, mais complémentaires ; ces plumes sont de Belgique, de France, d’Égypte, d’Angleterre, des USA mais aussi de Tunisie, espace par excellence de l’événement-avènement étudié sous différentes formes ; les auteurs appartiennent à des champs académiques, culturels et scientifiques relevant du registre, combien important, mais complexe, des sciences de l’homme et de la société : archéologie, histoire, sociologie, droit et sciences politiques, diplomatie, critique littéraire, socio linguistique, journalisme et sciences de l’information.
Il va de soi donc que les différentes contributions de ce dossier approchent de divers angles la situation de la Tunisie depuis l’époque médiévale ; cette transversalité dans le temps a le mérite de montrer que la matrice de cette histoire tunisienne est relativement la même : pouvoir central contesté, société résistante, élites en rapports conflictuels avec le pouvoir ou le défendant jusqu’à l’extrême ; c’est dire que les mouvements sociaux, les résistances et contre résistance aux pouvoirs, les contestations des pratiques et comportements politiques en Tunisie ne datent pas d’aujourd’hui ; deux articles ont scruté cet aspect en se focalisant sur les 8e et 19e siècles tunisiens pour montrer finalement que la société et le pouvoir, dans cet espace tunisien réduit, ont à la fois des histoires parallèles et des histoires croisées ; ces deux grands acteurs des dites histoires ne sont pas dans les mêmes positions et n’ont pas les mêmes visions du monde et de la vie ; les contradictions qui les traversaient ne pouvaient retarder l’affrontement, matériel ou symbolique, par l’un des moyens les plus appropriés. Même l’historiographie n’a pas échappé à la manipulation des uns et des autres et ce n’est pas toujours vrai de dire que l’histoire est écrite par les vainqueurs.
Le reste des autres écrits est principalement axé sur la Tunisie de l’après 17 décembre 2010 ; il a fait l’objet de mémoires, de témoignages et d’analyses de diplomates, de sociologues, de journalistes, d’historiens, de critiques littéraires, mais aussi de militants des droits de l’homme de la section de Toulouse ; chacun, dans son propre style et avec ses propres corpus et outils, donne une vision des choses qu’on peut partager ou critiquer ; les auteurs ont écrit librement à tous les niveaux ; c’est le thème du dossier qui les a unis et guidés ; cette dimension fait la richesse, la variété et même la beauté de ce numéro qui a réuni des plumes qui se connaissent et qui ne se connaissent pas. 
Cette terre tunisienne, par ses hommes et ses femmes, ses jeunes et moins jeunes, ses élites et ses forces laborieuses, ses espoirs et ses difficultés, a fait couler l’encre à travers la presse mondiale en cette année 2011  qui entre dans les annales tunisiennes et celles des mouvements sociaux les plus revendicatifs et contestataires du monde ; ils ont réussi à se faire une place méritée dans les discours politiques et culturels de nos jours au point d’attirer l’attention de grands maîtres à l’instar de Chomsky, Badiou, Mendela ou Samir Amin.. La question n’est nullement ou exclusivement politique. Le pays concerné cherche encore à établir définitivement des rapports équilibrés et participatifs avec les pouvoirs de toutes sortes : religion, pensée, politique, finances, enseignement, médias, science, gouvernés et gouvernants, le passage de l’état de Sujet à celui de Citoyen, etc. 
La trajectoire est longue et non sans risques de dérapages car les enjeux, pour les uns comme pour les autres, ne sont ni les mêmes ni de même poids. Ces travaux d’Eurorient ne sont pas tous de même nature ; certains relèvent de la recherche académique avec ses outils et ses conditions ; d’autres se situent dans le cadre de réflexions ou même de méditations sans parler de la littérature de voyage ou des rapports de mission et des approches de journalisme professionnel. À lire cet ensemble d’écrits, l’on ne peut que se faire une belle idée de la Tunisie, mais aussi de l’importance et de la complexité de ses problèmes au quotidien.

C’est dans ce cadre que l’Égyptien Mohamed Abdel-Azim, en chercheur et journaliste, se penche sur une riche comparaison entre les deux pays, Tunisie et Égypte, pris par le même sursaut révolutionnaire ; il dessine avec des éléments pertinents les contours des malentendus et des impasses dans les deux sociétés ; il revient sur les raisons de la colère ici et là par une manière de préciser les origines de fractures par l’État ou par le bas ; ce tout bien écrit le mène aux autres questions menaçant, selon lui, les deux mouvements sociaux et politiques inscrits dans la même logique de pouvoir contesté et de société résistante ; ce sont les élections et les procès, les paradoxes des deux révolutions, les doutes et les craintes, mais surtout ce couple islam-modernité ou islamistes et modernistes. Sa belle perspective sur les constitutions tunisienne et égyptienne de l’ère post révolutionnaire s’inscrit tout bonnement, à bien écouter l’histoire, dans ce qu’il appelle « questions sans réponses » ; l’histoire le dira.
Sur un autre plan, l’historien et universitaire tunisien, Lotfi Aissa, s’attache à mesurer et préciser l’ensemble des conditions d’une liberté citoyenne conçue comme une valeur phare dans le développement d’une pensée politique réellement moderne en Tunisie ; il en analyse quelques éléments aptes, selon lui, à remodeler les mentalités collectives tunisiennes construites, politiquement et même dans l’imaginaire, depuis la première constitution du XIXe siècle jusqu’à celle de 1959. L’objectif de cette pertinente analyse est de plaider pour un vrai rééquilibrage des pratiques politiques et des rapports entre les acteurs de la société et du pouvoir, car ce qui s’est passé dans le pays et à travers l’ensemble de son histoire traduit un grand divorce entre le pouvoir central et la société profonde. C’est dans cet esprit que l’auteur défend, avec sagesse et esprit lumineux, le projet d’un autre modèle de penser qui n’est pas sans rupture fondamentale et épistémologique avec les libertés individuelles. Ceci constitue une entrée à/dans la modernité en ce sens que l’homme est avant tout Une Valeur.
Quant à Fathi Bahri, en archéologue et historien de l’Islam classique en Tunisie, l’ancienne Ifriqyia, il se penche sur un mouvement et un évènement particuliers à travers l’historiographie musulmane. Il s’agit de la révolte des Berbères au Maghreb et de la façon dont était écrite cette révolte ; il énumère et analyse avec profondeur les récits les plus anciens en rapport avec ce mouvement socio politique et culturel ; il se base sur le corpus des intellectuels de la ville irakienne de Fustat au 8e siècle, d’un côté, et sur l’historiographie de l’Occident musulman en rapports avec les fuqaha’ de l’autre côté ; l’auteur montre finalement que ces récits hostiles à la réalité et à la révolte des Berbères diffusent une image négative et avilissante des révoltés. La valeur de ce travail réside dans la nécessité de critiquer toute historiographie et de la croiser aux autres corpus afin de dénicher les lieux et les milieux de désaccord.
Un autre son de cloche nous vient d’un diplomate belge ; Michel Carlier, en sa qualité d’ambassadeur de Belgique à Tunis de 2005 à 2008, nous livre un très beau tableau sur « sa » Tunisie à lui où mémoire, réflexions, analyses, points de vue, rapports directs, mais relatifs avec l’espace et les Tunisiens, s’entremêlent ; la richesse de ce travail fait de lui un témoignage profond, mais averti ; l’auteur parle à juste raison, s’agissant de « sa » Tunisie, d’une recherche de démocratie, de l’inquiétude d’un peuple, de l’avenir à construire ; il insère ce tout dans une logique de l’histoire tunisienne dont il choisit le cadre : de l’Indépendance à la Révolution  et en précise les fondements comme les limites : le Bourguibisme, l’éveil de l’islamisme, le système Ben Ali, la nouvelle constitution, l’heure du bilan, les tares de l’ensemble du système notamment le régionalisme, en privilégiant, enfin, la question des droits de la femme, devenue arme classique dans le discours politique moderne.
Un mouvement de va-et-vient entre le passé et le présent de la Tunisie caractérise l’ensemble de ces approches comme si l’Histoire constituait, à elle seule, la boîte à outils de la « mécanique » tunisienne et ses grandes pannes ; c’est dans ce cadre que l’universitaire et historien tunisien Mahmoud Ettaieb s’infiltre dans le XIXe siècle tunisien pour en voir les formes de comportement et de pratiques politiques en rapport avec les différentes allégeances et les divers enjeux. Acteurs politiques et positions nuancées en matière de relations avec le pouvoir central sont finement analysés ; la question de la souveraineté de l’État par rapport aux influences et même ingérences européennes est soulevée ; le passé rappelle le présent comme si ce passé ne passait pas. Le mérite de cette analyse est de mettre le doigt sur les constantes de l’histoire socio-politique et culturelle de la Tunisie, introduite depuis des siècles dans des rapports et réseaux avec l’Europe difficiles à dissocier. L’histoire, à l’hégélienne, a ses propres lois et surtout ses propres ruses.
S’agissant d’Ahmed Jdey, en historien de la période moderne et contemporaine et étant « à cheval » entre les deux, il pose à sa manière les conditions méthodologiques et surtout épistémologiques de l’écriture de l’histoire du 14 janvier 2011 en Tunisie. En effet, cette date est à la fois un Jour, un Événement, un Avènement, un Point d’interrogation dans l’histoire politique et des idées en Tunisie. Les origines profondes du mouvement social le plus affirmé, le plus étendu et le plus radical dans le pays, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, a mis fin à un dictateur, mais non au système de la dictature. La question est posée dans la logique de l’État tunisien de l’indépendance ; ce dernier est, historiquement, né dans les crises et n’a pu faire face à ses crises internes, notamment, que par la violence symbolique, politique et matérielle. Les rapports entre État et Société sont foncièrement contradictoires et leurs images sont mutuellement négatives  ; l’État de l’indépendance a géré ses crises et ses difficultés, par des lois, des mesures politiques, des discours, des violences matérielles ; la solution, sociologiquement parlant, ne relevait pas de ses préoccupations.
De sa part, la socio linguiste et universitaire tunisienne Nabiha Jerad, aborde avec sa très belle plume les relations entre la langue et la révolution ; selon elle, et c’est vérifié historiquement, les mots, les langues, les langages, les dialectes, comme expressions culturelles et psychologiques très profondes, peuvent être à l’origine des révolutions et des mouvements contestataires d’une manière générale. Sa vision globale des choses lui permet de saisir l’importance des mots et le pouvoir des langues dans la vie des individus, des groupes et des sociétés ; pour l’auteur, la révolution en Tunisie est d’abord un événement de langue ; le pouvoir de mobilisation des slogans, comme celui de Dégage ou Irhal, est à la fois simple et pragmatique. Ce pouvoir linguistique et langagier constitue un vrai réservoir de revendications politiques et culturelles existentielles : Liberté et Dignité en sont les moteurs. Il s’agit, dans la logique des demandes sociales de la volonté d’accéder à la démocratie par les Mots, le Verbe, La Langue ; ces derniers ne sont pas, cependant, un bloc homogène  car ils s’entendent différemment, selon les uns et les autres et selon la position d’où on écoute ou on voit ; c’est la question différentielle entre Islamistes et Modernistes en Tunisie comme ailleurs.
L’universitaire américain, Ronald Judy, en critique littéraire, voit la révolution tunisienne d’un autre œil ; ayant connu et vécu en Tunisie, la thèse principale de l’auteur est que l’aboutissement de cette révolution tunisienne se situe dans le type d’éducation et d’enseignement dés l’indépendance avec l’intellectuel et l’écrivain Mahmoud El Messadi, alors ministre de l’éducation, sous le règne de Habib Bourguiba. Ce projet a contribué à la formation d’excellents cadres tunisiens et d’éminents spécialistes imbus d’humanisme ; pour comprendre cette révolution, il faut alors comparer les deux systèmes d’enseignement sous Bourguiba qui a défendu l’école moderne et sous Ben Ali qui a déformé le contenu de l’éducation. La jeunesse de la révolution est celle qui est victime de l’enseignement de Ben Ali et qui s’est révoltée contre lui. L’enseignement, dans les deux cas, est à l’origine des changements sociaux et des mentalités de la Tunisie contemporaine. Pour l’auteur, cette révolution tunisienne s’inscrit dans l’ère de l’humanisme et du cosmopolitisme.
Un autre regard, pertinent, nous est donné par l’historienne américaine Silvia Marsans Sakly  ; habituée à la Tunisie et aux Tunisiens, ayant fait une thèse de doctorat sur la révolte d’Ali Ben Ghadhahim en 1864, l’auteur continue ses réflexions sur les rapports entre pouvoir et société ; pour elle, ce qui se passe en Tunisie, en décembre 2010, est une insurrection populaire, la première en son genre, post coloniale du monde arabe ; sur ce plan, elle a un caractère symbolique exceptionnel. Liée à l’humiliation, à la dégradation et au non respect de l’individu, elle matérialise des types de mobilisation sociale, géographique et culturelle, à partir de son espace originel, Sidi Bouzid ; l’auteur plaide pour un vrai contrat social entre pouvoir et société qui a pour but primordial de mettre fin à la désillusion des jeunes, à l’injustice sociale et à la répression de tout un système ; le ton critique de cette contribution est d’une valeur sûre.
Le tunisien Mohamed Salah Omri, en critique littéraire et universitaire à Oxford University, s’intéresse, quant à lui, à un mouvement politique et intellectuel fondateur dans la Tunisie indépendante ; il s’agit du Mouvement Perspectives (À’fa’q) ; il concrétise à la fois la culture de protestation et l’opposition au régime bourguibien ; imbu de la culture de l’époque, il défend les libertés, la justice et la démocratie ; à partir d’un roman, d’un film et d’une pièce de théâtre, l’auteur étudie les rapports, combien intimes et complexes, entre l’histoire, la culture et la politique en Tunisie depuis 1960 à 2012 ; la littérature et les arts en Tunisie de Bourguiba comme de Ben Ali n’ont pas tourné le dos à la politique et à l’histoire ; c’est un long voyage de recherche et de construction de soi à travers plusieurs outils et sources ; le but est de réussir une grande métamorphose qui garantira le passage du tunisien, de son état de Sujet à un nouveau monde, celui de Citoyen ; sur ce plan, la Dignité revendiquée par les Tunisiens et les Tunisiennes, est synonyme de Citoyenneté.
Le sociologue de la culture et l’universitaire tunisien Mounir Saidani inscrit son intérêt à la révolution tunisienne comme mouvement social d’importance dans l’hypothèse de construction d’une situation paradoxale ; il la définit comme une variété de version de Modernités qui se livrent lutte, par plusieurs moyens et sous différentes formes ; liées aux nouvelles élites au pouvoir ou contre pouvoir, l’auteur en précise les conditions, les cadres et les divergences de tout ordre ; pour lui, les deux types de Modernités envisagées en Tunisie ou à construire, ne relèvent pas du registre classique et connu : Islamistes/Modernistes ; il s’agit plutôt de deux types de Modernités situées chacune dans la société Postcoloniale ou la société Postglobale ; ici se saisit l’originalité de cette contribution qui ne résout pas finalement les rapports entre Islam et Modernité.
La contribution des militants des droits de l’homme est très spécifique ; elle n’est pas le fruit de la plume d’une seule personne ; elle n’est pas un article académique ; u contraire, elle est un rapport d’une mission de la section des droits de l’homme de Toulouse et de la section d’Amnesty Internationale de la même ville ; cette équipe qui a effectué son séjour en Tunisie au mois de novembre 2011 a tenu à venir vivre parmi les Tunisiens et les Tunisiennes ; cette décision était prise quand Rémy Cochard, à la tête de la délégation, était convaincu avec ses collègues, comme militants des droits de l’homme, que les médias occidentaux, notamment français, ne disaient pas tout sur ce qui se passait en Tunisie. Mes contacts et débats avec eux à Tunis, c’est-à-dire avec Danièle Benoit, Jean-Louis Benoit, Liliane Bernhardt, Claude Bernhardt, Jean-Louis Bône et Rémy Cochard étaient des plus riches ; ils s’en font un écho. Les déplacements, les échanges, les rencontres, les observations ou même leurs interrogations, à Tunis comme au Kef et dans d’autres lieux étaient particulièrement riches pour eux et avaient surtout enlevé les doutes ou les a priori. Dans ce rapport inédit et élaboré collégialement, ils analysent la situation du pays, abordent le processus constitutionnel suite aux élections et donnent une vue panoramique sur les partis et acteurs politiques de la Tunisie sans oublier les appareils de l’État ; un intérêt particulier a été donné à la société civile, à la période transitoire, à la peine de mort, aux droits des femmes, aux rapports Occident-Islam, aux arts et à la culture ; fruit de rencontres et d’impressions sur les terrains tunisiens, ce rapport entre aussi dans les productions culturelles et politiques de l’événement capital 17 décembre 2010-14 janvier 2011.
Les années de l’après seconde guerre mondiale en Tunisie sont déterminantes dans l’évolution spécifique du mouvement de libération ; plusieurs rapports diplomatiques, correspondances et autres corpus conservés en Tunisie , en France et même ailleurs en font les échos; les partis et la presse nationalistes, l’organisation syndicale, la question du bey Moncef, les voyages de Bourguiba , entre autre, avaient donné une dimension relativement nouvelle dans la coloration du nationalisme tunisien ; les rapports des Archives françaises présentés par Ata Ayati , en font foi ; les comparer avec d’autres sources, tunisiennes et non tunisiennes, les faits sont les mêmes : des grèves, des manifestations, des émeutes, des actions politiques et diplomatiques, sont l’expression d’une élite et d’une société engagées dans la logique de libération nationale ; les autorités françaises à Tunis suivaient la situation de très près et en informaient Paris pour toute possibilité d’apaiser, de pacifier ; le courant est contre la colonisation. Il s’agissait donc de bien préparer politiquement et sociologiquement tout le pays à l’indépendance. 
Cette présentation est partielle ; elle ne remplace aucunement la(les) lecture (s) de ce numéro pour y scruter les styles, les articulations, les mots, les images et les types de pensée de chaque auteur/producteur ; ce dossier est marqué par les empreintes de son temps, ses temps : des uns et des autres, leurs psychologies, leurs parcours, leurs pensées, leurs interrogations, parfois leurs doutes sur un événement dont ils ne connaissent pas encore l’aboutissement. 
Nous avons voulu tout simplement interroger et nous interroger en partant de la base d’un mouvement singulier et a typique produit et vécu par les tunisiens et les Tunisiennes, chacun ou chacune à sa manière ; nous avons aussi voulu mettre à la disposition du monde francophone et anglophone les idées, voire les sentiments des auteurs unis autour de ce « tremblement tunisien » ; je ne peux que remercier finalement les auteurs de ce dossier avec qui j’ai pu échanger et faire évoluer les choses ; d’une idée, d’une proposition, d’une volonté, naissent les grandes réalisations ; ce numéro d’EurOrient spécial Tunisie en est une et non des moindres ; l’histoire le retiendra et c’est aussi une histoire commune, partagée avec certains des auteurs qui sont amis et les autres, qui le sont devenus, même si je n’ai pas eu l’occasion de faire directement leur connaissance.


Ahmed Jdey 
EurOrient, Tunis, le 31 mai 2012

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